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lois ? C’est la majorité qui, en ce moment, semble reculer. Les ministres n’ont certes manqué ni de zèle, ni de courage, ni de talent. M. Baroche s’est montré l’intrépide et habile défenseur de l’ordre menacé. M. Rouher n’a été ni moins énergique ni moins éloquent. M. Fould a présenté le budget de 1851, qui semble ouvrir une ère d’espoir à nos finances. Personne enfin dans les rangs du gouvernement ne s’ébranle ou ne regarde en arrière, et chacun y a le courage de la brèche, à l’exemple du président. Qu’est-ce donc qui paralyse tant de généreux efforts ? — La peur des succès du voisin. — Mais qu’on y prenne garde : toutes les peurs sont soeurs, et ceux qui, par une triste et bien intempestive jalousie, craignent leurs amis sont, sans le savoir, bien près de craindre leurs ennemis.

Nous ne dirons que quelques mots des discussions de l’assemblée législative pendant cette quinzaine, non qu’elles n’aient été importantes et graves ; mais nous vivons dans une de ces époques malheureuses où l’incertitude du lendemain ôte tout intérêt aux discussions de la veille. Dans d’autres temps, par exemple, nous aurions pu prendre intérêt à une discussion soulevée par M. Jules Favre sur l’amovibilité des desservans. Nous nous souvenons qu’en 1839 deux prêtres desservans, MM. Allignol, traitèrent cette grave question avec beaucoup de science. C’étaient deux prêtres fort respectables, et leur ouvrage s’est répandu dans les rangs du clergé beaucoup plus qu’on ne l’a cru ; mais, sauf l’exception que je viens d’indiquer des frères Allignol, ç’a été en général le malheur de cette question de l’amovibilité des desservans, qu’elle a été ordinairement traitée par des prêtres interdits et qui méritaient l’interdiction. L’avocat discréditait la cause. M. Jules Favre ne l’aura pas relevée de ce malheur ; on a pu croire en effet, comme l’a fort bien remarqué M. de Parieu, ministre de l’instruction publique et des cultes, que l’orateur ne parlait pas pour la question elle-même et pour l’assemblée, mais qu’il parlait un peu pour le dehors. Après avoir essayé de désorganiser l’armée en soulevant les sous-officiers contre les généraux, la montagne a eu peut-être aussi la fantaisie de faire quelques expériences du même genre sur le clergé et de semer la zizanie entre les desservans et les évêques ; la montagne a pu voir d’ailleurs que presque partout le clergé appartenait au parti de l’ordre. Il serait donc utile d’amener quelques défections aussi dans ce corps ; il serait piquant d’avoir dans l’assemblée un desservant interdit pour remplacer un sergent mis aux arrêts. Le discours de M. Jules Favre était ainsi un discours tout politique ou tout stratégique, et qui ne peut pas l’ériger en canoniste.

Après la discussion sur l’amovibilité des desservans, M. Jules Favre a encore soulevé une autre discussion, et qui aurait aussi voulu des temps plus tranquilles que les nôtres. Vous souvenez-vous de cette question de confiance qui, sous la monarchie, se posait tous les ans dans le débat des fonds secrets ? C’est une question de ce genre qu’est venu poser M. Jules Favre, qui fait en vérité trop d’honneur au régime qu’il a contribué à fonder dans notre pays, de croire qu’une question de confiance peut encore être de mise aujourd’hui. Accusez le président de la république et essayez de le faire décréter d’accusation par l’assemblée ; voilà les questions de confiance que comporte la constitution de 1848. Dans chaque discussion de nos jours, il s’agit d’être ou de ne pas être, et cela a été bien visible dans cette discussion des fonds secrets ; car ce qu’attaquait M. Jules Favre, c’était une circulaire de M. le préfet de police