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fait la brochure de M. de Sainte-Aulaire aux socialistes de l’avenir et aux socialistes du passé.

Aux socialistes de l’avenir, à ceux qui veulent organiser la société actuelle sur un pied encore plus démocratique qu’elle n’est organisée de nos jours, la brochure de M. de Sainte-Aulaire répond qu’ils ne peuvent pas ici se payer d’illusions et d’espérances. La démocratie est un régime qui a été éprouvé depuis long-temps ; l’expérience n’est pas à faire, elle est faite. Nous savons, non pas seulement par l’histoire de nos tristes jours, mais par l’histoire du moyen-âge et de ses municipalités démocratiques, nous savons quelles sont les conséquences de l’extrême démocratie.

Aux socialistes du passé, la réponse que fait la brochure de M. de Sainte Aulaire est encore plus précieuse et plus démonstrative : il y a des personnes (et nous blâmons ici leur raisonnement, et non leurs intentions), il y a des personnes qui, trouvant que la société n’est pas bien organisée en 1848 et par 1848, ne s’arrêtent pas, dans leurs projets de révision, à une organisation postérieure et analogue à celle de 1789, à l’organisation de l’empire par exemple, ou de la restauration, ou de la monarchie de juillet ; nous les suivrions volontiers jusque-là. Ils vont plus loin : ils s’élancent d’un bond vers l’organisation de la France onze ou douze cents ans après Jésus-Christ, organisation peu connue, mais qui n’en plaît que mieux à cause de son obscurité même. L’homme, en effet, met toujours ses chagrins dans le présent qu’il pratique, et ses regrets ou ses espérances dans le passé ou dans l’avenir qu’il ignore. Il est curieux que ceux qui, pour fuir le présent, c’est-à-dire l’extrême démocratie, voudraient fuir dans le passé, soient précisément exposés à rencontrer dans ce passé cette démocratie extrême, qui leur est, comme à nous, insupportable. C’est la fable de Charybde et de Scylla. Nous voulons échapper à la démocratie de 1848, nous tombons dans la démocratie de 1200.

Nous ne parlons ici que de l’excès de la démocratie et non pas de la démocratie régulière et paisible. La démocratie paisible et régulière n’est pas autre chose qu’une société affranchie de tous les liens de castes, d’ordres et de classes, et cette société est fort de notre goût ; mais cette société n’est pas partout de la même nature, et elle n’a pas non plus partout la même organisation. Il y a des démocraties qui sont livrées à l’esprit de négoce, d’autres qui sont agricoles et rurales, d’autres encore qui sont urbaines, et il est évident que la diversité de natures doit amener la diversité d’organisation. Or, pour en revenir au point d’où nous sommes partis, et prenant un instant pour guide l’excellente dissertation de M. Louis de Sainte-Aulaire, la démocratie française est, de sa nature, une démocratie laborieuse, à la fois agricole et industrielle, où chacun travaille pour vivre. Le jour où cette démocratie voudra avoir une organisation analogue à sa nature, elle trouvera dans les conseils de l’agriculture, des manufactures et du commerce un cadre tout fait et excellent. Elle n’aura qu’à leur donner des attributions délibératives, au lieu d’attributions purement consultatives, et ce sera justice, car l’agriculture, l’industrie et le commerce ont trop appris à l’école des révolutions que les intérêts doivent être défendus aussi soigneusement que les opinions, puisque le choc des opinions gêne et entrave sans cesse le libre développement des intérêts.

Quand nous parlons ainsi, quand nous nous livrons à la douce et chimérique