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d’abord. De nos jours, les palais sont exposés à avoir des hôtes fort divers. C’est ainsi qu’au Luxembourg les conférences de M. Louis Blanc avec les ouvriers ont succédé aux séances de la chambre des pairs ; aujourd’hui, à deux ans de distance, les séances des conseils de l’agriculture et du commerce succèdent aux conférences des ouvriers. Il n’avait fallu que quelques heures pour mettre M. Louis Blanc dans le fauteuil de M. Pasquier ; il a fallu deux ans pour rendre au Luxembourg une sorte de physionomie législative, le mal se faisant vite et le bien se faisant lentement. Quand nous parlons de la physionomie législative qu’a reprise le Luxembourg depuis les séances des conseils de l’agriculture et du commerce, nous ne répondons pas seulement à l’idée qui s’est éveillée dans tous les esprits ; nous répondons à la nature même des choses. Laissons en effet de côté, pour un instant, nos habitudes de gouvernement représentatif, ou plutôt changeons un peu le point de vue ordinaire de la représentation. Supposons qu’au lieu de vouloir représenter les opinions et les partis, choses toujours mobiles et tumultueuses de leur nature ; supposons que la constitution veuille que les grandes professions sociales, les grands intérêts du sol et du travail soient représentés dans une ou dans deux assemblées délibérantes ; supposons qu’au lieu de représenter les individus groupés par hasard sur le territoire, supposons que la constitution partage les citoyens en classes formées par analogie de professions et d’intérêts, qu’il y ait, comme dans la constitution de feu la république cisalpine, la classe des propriétaires, la classe des industriels, la classe des lettrés ; supposons tout cela pour un instant, et voyons s’il y a un meilleur cadre d’organisation que ces conseils qui siègent en ce moment au Luxembourg, et qui représentent, non pas les opinions et les sentimens politiques du pays, c’est-à-dire le chaos, mais les intérêts de la propriété et du travail, c’est-à-dire vraiment l’ordre social.

Dira-t-on que ces conseils ne sont point assez démocratiques pour notre société actuelle ? il nous semble, au contraire, qu’ils sont l’expression la plus vraie de la démocratie moderne, qui est essentiellement laborieuse. Si vous voulez une autre démocratie, cherchez-la dans l’antiquité.

La démocratie moderne a un grand problème à résoudre. Qui dit démocratie veut dire un peuple qui a la prétention de se gouverner lui-même ; mais il faut avoir du temps et du loisir pour se gouverner. Le gouvernement n’est pas une œuvre facile et qui se fasse dans l’intervalle d’autres œuvres et d’autres travaux. Or, le temps et le loisir, voilà ce qui manque le plus à la société moderne, qui n’a pas d’esclaves et qui est laborieuse et besoigneuse. On se trompe donc beaucoup quand on impose à la démocratie moderne les mêmes labeurs et les mêmes obligations qu’à la démocratie grecque ; on se trompe également quand on croit que notre organisation démocratique d’aujourd’hui est chose nouvelle, et que c’est un progrès dans la marche de la civilisation.

Notons à ce propos une fort piquante et fort instructive brochure que vient de publier M. Louis de Sainte-Aulaire, ancien député, sous le titre de Considérations sur la Démocratie. M. de Sainte-Aulaire montre de la manière la plus spirituelle et la plus claire que la démocratie est chose fort ancienne en France, et que tout le moyen-âge est plein de son histoire. Qu’on ne dise donc pas que développer et aviver la démocratie, ce soit aller vers l’avenir. Non, c’est retourner vers le passé. De là, selon nous, une double et piquante réponse que