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Et vidons ici une question qu’il est important de vider. Y a-t-il un bon socialisme qu’on puisse opposer au mauvais ? Y a-t-il dans les théories qui courent le monde depuis deux ans sur les ailes de l’anarchie, y a-t-il quelque idée juste et vraie qu’on puisse appliquer et employer ? Nous répondons hardiment que non. Le bon socialisme est une chimère. Cela veut-il dire qu’il n’y a rien à faire dans l’intérêt des classes laborieuses et pour améliorer leur sort ? A Dieu ne plaise ! « Le gouvernement, a dit le président de la république, s’est occupé du sort des classes laborieuses. Les caisses d’épargne, les caisses de retraite, les caisses de secours mutuels, la salubrité des logemens des ouvriers, tels sont les objets sur lesquels, en attendant la décision de l’assemblée, le gouvernement appellera votre attention. » Les mesures qu’indique le président ne sortent pas du cadre de l’ancienne philanthropie ou plutôt de la vieille charité chrétienne ; elles ne composent pas un nouveau système social ; elles ne créent pas une ère nouvelle et impossible. Elles font le bien, parce qu’il est du devoir d’un état chrétien de le faire ; mais elles ne comptent pas, je pense, sur la reconnaissance soudaine et universelle des classes assistées : elles ont raison. Le bien que fait ou qu’entreprend la politique est illusoire et inefficace. Il faut être charitable et bienfaisant, sans espoir de retour : c’est la seule manière de l’être sans désappointement. Ce qui nous fait croire que la bienveillance envers les classes laborieuses ne doit pas de nos jours être un plan de politique, mais un pur mouvement de l’ame, c’est que la population ouvrière se partage, selon nous, en deux classes : l’une envers laquelle il n’y a rien à faire, parce qu’elle est irréconciliable, et nous dirons dans un instant pourquoi, l’autre qui n’a pas besoin qu’on fasse rien pour elle, parce qu’elle travaille et qu’elle ne demande à l’état que l’ordre et la paix qui rendent seuls le travail possible et fructueux. C’est à cette seconde classe de la population ouvrière que s’adressent les institutions charitables dont parle le président de la république ; mais elles s’adressent à cette classe, non comme étant le prix de son obéissance, ce qui dégraderait du même coup le bienfaiteur et l’obligé, mais comme étant le témoignage et l’exercice de cette charité envers le prochain qui doit être le principe de conduite des individus et des nations chrétiennes.

Avec la première partie de la population ouvrière, celle qui est livrée à ses vices et aux théories corruptrices du socialisme, il n’y a rien à faire, et voici pourquoi : c’est qu’elle veut l’impossible ; c’est qu’elle veut qu’il n’y ait plus de pauvres en ce monde, et ceux-là surtout ne doivent pas être pauvres, qui ont le plus de chances de le devenir à cause de leurs vices et de leurs passions. Comme la spoliation est sa seule doctrine, la bienfaisance assurément lui donnera toujours beaucoup moins qu’elle ne veut prendre. Il n’y a donc rien à faire avec elle.

Nous sommes loin de conseiller de ne rien faire du tout dans l’intérêt de la population ouvrière, mais nous conseillons de ne rien afficher. L’affiche, en effet, ne ramène pas les mauvais, à moins que l’affiche ne soit une promesse impossible à tenir, et l’affiche est inutile aux bons qui n’ont pas besoin de prime pour se bien conduire. Les paroles du président de la république au Luxembourg se tiennent dans le vrai juste milieu ; elles sont le langage d’un gouvernement qui veut le bien et qui ne veut pas le bruit.

Tout était curieux et significatif dans cette réunion du Luxembourg : le lieu