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grands jusqu’aux plus petits, nous avons eu dans les causes de ce châtiment de la Providence notre part d’incurie, de faiblesse, d’illusions ou de folie. Nous en sommes aujourd’hui à cette époque de lente et pénible reconstruction, à cet enchaînement de travaux et de veilles dans lesquels le moindre oubli, la moindre lassitude, peuvent remettre en question tout l’avenir de la patrie, et la faire descendre encore de la place amoindrie qu’elle occupe en Europe. Ayons sans cesse les yeux fixés sur le danger présent et que le passé serve de leçon à l’avenir : la brèche n’est pas fermée, et toute la digue est ébranlée jusque dans ses fondemens. Quand les institutions républicaines elles-mêmes sont attaquées avec une fureur sauvage par ceux qui s’en prétendent les champions exclusifs, ce serait nous faire une étrange illusion que de nous croire au terme de nos peines et de nos combats. Une barbarie nouvelle s’est dressée au cœur même de la civilisation de l’Occident, et une hideuse fatalité la condamne à tenter encore de s’imposer à la société par la violence. Le jour venu, la France ne manquera ni d’un homme de tête pour diriger sa défense, ni de gens de cœur pour le suivre, et, avec l’aide de Dieu, la barbarie sera une dernière fois vaincue ; mais cette lutte, là France, l’humanité, la religion, commandent de ne rien épargner pour en conjurer les horreurs.

Deux instrumens de salut nous restent : une législature dont la majorité est animée des plus loyales intentions, et un pouvoir exécutif encore fortement organisé. Le problème à résoudre est la conciliation entre la gestion hardie des affaires du pays et le respect scrupuleux des droits du parlement. L’assemblée constituante de 1848 ressemblait, dans ses derniers temps, disait-on, à ce géant de l’Arioste, qui conservait encore l’attitude du combat, quand on s’aperçut, en le poussant, qu’il était mort. L’assemblée législative n’en est pas là ; mais la langueur de ses travaux, les ajournemens dont ses déclarations d’urgence sont la préface, la paralysie dont la menacent ses divisions, ne la montrent pas préparée à prendre une initiative vigoureuse. Elle est capable de recevoir une impulsion, et c’est au pouvoir exécutif de la donner. Que le président de la république s’inspire de la lecture du Moniteur du consulat ; que, sortant d’un cercle étroit, il appelle à lui, sans distinction d’origine et de parti, tout ce qu’il y a d’honnête, de capable, de désintéressé ; qu’une administration laborieuse, intelligente, se place à côté de l’assemblée, s’étende dans les départemens, — et le pouvoir parlementaire deviendra un appui solide, et bientôt la loi du travail, s’exécutant dans l’ordre matériel comme dans l’ordre politique, guérira les maux de la France et sauvera la société. C’est là ce que réclamaient les six millions de votans du 10 décembre ; c’est là ce qu’ils attendent encore, et, quand le pouvoir exécutif fera son devoir, l’assemblée et la nation feront le leur.


J.-J. BAUDE.