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exclues des avantages inhérens à l’acte même de la transformation ? Loin de là. La valeur acquise par ce sol n’est pas autre chose que l’immobilisation des fruits de l’intelligence qui a dirigé l’opération, du prix des engrais, des amendemens, des transports, des outils, du travail manuel. À qui sont allés les salaires, si ce n’est à la partie de la population qui vit de l’emploi de ses bras ? Et si l’on faisait la récapitulation exacte des sommes réparties en main-d’œuvre, plus d’un compte se solderait en perte comparativement aux résultats obtenus. Les ouvriers, quand ils n’ont pas travaillé pour eux-mêmes, ont ici reçu leur rémunération sous la forme qui leur convenait le mieux, c’est-à-dire sous celle qui, comportant le moins de retard, est le mieux à l’abri des mécomptes et des éventualités, et, chose importante pour leur dignité morale, ils ont agi dans la libre disposition de leurs personnes, du fruit de leurs sueurs, et n’ont point appris que leur petite fortune pût avoir d’autres sources que le travail, l’économie et la bonne conduite.

De grands défrichemens par colonies d’indigens ont été organisés par l’administration publique en Hollande et en Belgique ; l’intelligence, le dévouement, les capitaux, l’esprit de suite, rien n’y a manqué, et cependant, quand on s’est rendu un compte sincère des résultats de ces entreprises, il ne s’en est pas rencontré une seule qui n’eût imposé à la société des charges très supérieures aux avantages recueillis. Les individus mêmes auxquels devaient profiter les sacrifices d’autrui sont restés en proie à des vices et à des misères ignorés des ouvriers libres à la disposition desquels on met des travaux semblables à ceux des mielles de Cherbourg.

La combinaison rapide qui jaillit du cerveau de Napoléon à l’aspect de ces terres inertes n’est pas seulement la plus simple et la meilleure que la législature et l’administration puissent appliquer aux espaces incultes qui sont à leur disposition ; elle est probablement la seule économique, la seule efficace. Les communes des quatre-vingt-cinq départemens du continent possèdent à elles seules 4,639,220 hectares[1] : c’est le onzième de la surface de notre territoire ; c’est presque l’étendue de huit départemens. Une notable partie de ces terres sollicite une transformation analogue à celle des mielles de Cherbourg. Étudier pour chaque groupe les conditions spéciales de mise en valeur collective, les réaliser sur les avances ou les emprunts des communes, mettre dans le commerce et livrer à l’industrie privée des terres pourvues, par l’ouverture de chemins, de canaux d’arrosage ou de desséchement, de germes féconds d’amélioration, voilà des moyens aisés et infaillibles d’accroître les ressources des communes, d’appeler dans la circulation les capitaux timides, de faire surgir de place en place, dans tout le pays, des sources

  1. Relevé par département de la contenance et de la valeur des biens communaux non affectés à un service public. (Lithographié au ministère de l’intérieur en 1847.)