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mais cette communauté d’avenir, si pleine à la fois de force et de dangers, impose à celui des deux pouvoirs qui est le plus en état de conduire l’autre l’obligation d’un rare mélange de déférence et de fermeté, de hardiesse et de prudence, de circonspection et d’activité, et il serait triste que les expériences qui se sont faites sur ce sujet depuis vingt ans fussent perdues pour le régime actuel. C’est à nous tous qui avons servi la monarchie constitutionnelle avec loyauté, dont les respects accompagnent dans l’exil la noble famille qui en occupait le faîte, qui ne dissimulons pas plus aujourd’hui nos regrets que nous n’avons naguère dissimulé nos inquiétudes, c’est à nous tous qui avons touché aux affaires de dire à notre pays comment s’est formé l’orage, comment les ressorts de l’autorité se sont affaiblis au point de fléchir sous le péril d’une seule journée, et de lui montrer sur quels écueils nous nous sommes brisés. L’exposé sincère de nos fautes sera plus instructif et plus utile que celui de nos succès, et ce serait une bien puérile vanité que celle qui s’obstinerait à vouloir tout justifier dans le passé, jusqu’aux erreurs qui nous ont conduits à la catastrophe de février. Quoi qu’en ait dit le grand Corneille, le destin des états ne dépend d’un moment que lorsque toute la constitution en est altérée, et plus l’attaque sous laquelle ils succombent est méprisable, plus elle accuse la désorganisation du pouvoir.

Peu d’histoires seraient plus fécondes en enseignemens que celle de l’établissement, des prospérités et de la chute de la monarchie de 1830 ; on y verrait les germes de la catastrophe qui en a marqué la fin naître du sein même de l’événement qui la constituait, grandir couvés par ceux dont la charge était de les arracher, se développer par la connivence du gouvernement, et se retourner enfin contre lui pour l’abattre. La suprématie politique exercée de fait, à l’exclusion de trente-cinq millions de Français, par la garde nationale de Paris tiendrait dans cette histoire une place importante : corps armé de baïonnettes inintelligentes, inutile dans les temps calmes, dangereux dans les temps d’orage ; délibérant à côté des pouvoirs nationaux, parfois contre eux, et paralysant trop souvent par ses divisions ou son inertie les forces vives du pays. Cette histoire ferait aussi ressortir par leurs résultats les vices d’un système d’éducation qui, léguant chaque année à la société dix fois plus de latinistes ou de philosophes qu’elle ne peut en occuper, fait, pour quelques hommes utiles, ces multitudes de demi-savans, dans lesquelles tant de malheureux deviennent mécontens et tant de mécontens coupables ; elle montrerait l’administration organisant elle-même, par la mauvaise application du principe salutaire qui lui confie la haute direction de l’enseignement, l’abandon des professions laborieuses, et grevant l’avenir de prétentions qu’à défaut du budget, les révolutions devront défrayer.