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de soutenir chez nous l’épreuve d’une guerre sérieuse ? Ne prêtons donc pas à Napoléon des sentimens qui n’ont jamais été les siens ; on l’amoindrirait en substituant une grandeur d’emprunt à celle qui fut une émanation de sa nature et qui lui appartient sans partage. Non ; quand il concentrait tous les pouvoirs entre ses mains, ce n’était pas avec l’arrière-pensée de s’en dépouiller plus tard. La soif du pouvoir et l’amour du pays se confondaient dans tout son être. « Messieurs, vous avez un maître, dit Sieyès en sortant, le 19 brumaire, de la première séance de la commission consulaire exécutive : le général Bonaparte veut tout faire, sait tout faire et peut tout faire. » Ce mot peint l’homme tout entier. Le trait le plus persistant de son caractère était en effet un insatiable besoin de savoir et d’agir, heureux si ce besoin ne l’eût jamais poussé au-delà des bornes de la justice et de la prudence ! Les lenteurs et les contrariétés d’un régime où la discussion a moins pour but la manifestation de la vérité que la dépréciation des personnes, où la parole a l’avantage sur l’action, n’allaient pas à ce cœur impétueux : nul n’est maître d’agir contre son tempérament, et le sien l’éloignait du gouvernement parlementaire, qui, selon lui, n’ouvrait de champ vaste qu’à nos défauts. Qu’avec ces penchans et ces opinions Napoléon ait sérieusement songé à fonder l’avenir de la patrie sur un état de choses pour lequel il avait si peu d’estime, qu’il ait voulu couronner sa carrière par une contradiction, cela n’est ni vrai ni vraisemblable.

Ses convictions, son bonheur, sa gloire, furent ailleurs. Pour assurer l’égalité civile dans la société, il fit le code civil ; pour satisfaire aux besoins collectifs de cette même société et constituer fortement l’état, il fit l’organisation administrative de l’an VIII. Ce fut pour lui la consolidation des principes et des résultats de la révolution, et les faits prouvent combien ces institutions sont plus profondément enracinées dans notre pays qu’aucun établissement parlementaire.

Il n’est princes, tribuns, assemblées, si médiocres qu’ils soient, qui, à la condition de ne tenir compte ni du génie particulier des races, ni de la disposition des territoires, ni de la pression des événemens, ne soient bons à jeter sur le papier des constitutions politiques : on en voit traîner partout les patrons, Italiens, Espagnols, Allemands, Français, nous n’avons qu’à nous baisser pour les ramasser ; mais doter un pays aussi profondément bouleversé que l’était la France en 1799 d’une organisation qui lui fasse immédiatement reprendre son assiette, qui, en quatorze années de guerres continues, reconstitue ses finances, rétablisse son agriculture, fonde son industrie, qui résiste à deux invasions du territoire, à trois grandes révolutions, ce fut l’œuvre de Napoléon, et nul autre que lui ne pouvait y suffire. Cette organisation est seule restée debout, quand tout le reste tombait pêle-mêle autour d’elle. De quoi vivons-nous encore aujourd’hui, si ce n’est de ce qui en reste ?