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— et dis-moi la vérité : de qui est ce troupeau, — avec cette marque qu’il porte ?

« — Il est au comte del Sol, madame, — qui va se marier aujourd’hui. — Bon berger, bon berger, — puisses-tu voir prospérer ton troupeau ! — Tu vas prendre mes riches soies, — et tu vas me donner ton habit de laine ;

« Et, me prenant par la main, — tu me conduiras jusqu’à la porte, — afin que je lui demande l’aumône, — au nom de Dieu, s’il veut me la faire. »

« En arrivant tout près du seuil : — « Voyez-vous le comte qui est là, — tout entouré de seigneurs qui vont assister à sa noce ?

« Donnez-moi, comte, l’aumône. » — Mais le comte s’est pâmé. — « De quel pays êtes-vous, madame ? — Je suis née en Espagne.

« Êtes-vous une apparition, étrangère, — qui venez pour me troubler ? — « Je ne suis pas une apparition, comte, — je suis ta loyale épouse. »

« Le comte monte aussitôt à cheval, — la comtesse est en croupe avec lui, — et ils revinrent à leur château, — sains et saufs et pleins de joie… »


La musique de ces romances, toute de souvenir mauresque, s’est conservée traditionnellement dans quelques villages des montagnes de Monda, des terres de Médina et de Xérès, où les influences nouvelles pénètrent avec lenteur et où vivent encore des familles de pure descendance arabe. Observez dans leur ensemble ces chants et ces danses ; combinez ces élémens, — fanatisme du plaisir, ivresse de l’imagination, sel andalou semé à pleines mains et éperdument, — vous aurez un de ces spectacles uniques qu’on ne peut décrire. Ce qui frappe dans la danse, en Espagne, c’est ce naturel, cette spontanéité d’inspiration qui la relève à la hauteur de la poésie, c’est ce caractère d’inexprimable passion qui la montre si intimement mêlée à la vie nationale et gardant son invincible attrait même dans les heures solennelles, même dans l’essor des sentimens héroïques et des patriotiques douleurs. « Tandis que le comte-duc, dit un vieux fragment, perd l’Espagne du roi, perle des danseuses, danse et console-moi ; ton pied fin, qui se détache du sol et peint dans les airs, arrachera de mon ame les pensées tristes, l’amertume et les angoisses ; ta charmante parure, ta gentillesse et ta grace m’éblouiront… » C’est le fond du romance plus moderne de Brianda. « Au moment où une main traîtresse livre l’Espagne à l’avidité française, où vient un autre Roncevaux et se lève un autre Bernard, danse, Brianda, etc., etc. » Cette simultanéité de sentimens, ces contrastes, si l’on veut, sont fréquens dans le caractère espagnol, qui se sent à l’aise dans cette atmosphère d’inspirations viriles et de poétiques ivresses, et ce n’est point sans raison que le solitaire voit dans ces choses légères « des documens pour les esprits intelligens, » des indices propres à éclairer sur les tendances, les instincts et les aptitudes d’un peuple. N’aperçoit-on pas, notamment, combien dans une vie de ce genre doivent occuper peu de place ces questions faméliques de boire et de manger transformées en questions de civilisation ?

Il y a sans doute dans une telle nature, sévèrement analysée, bien