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No la partas con cuchillo
Que và mi corazon dentro.

Ou bien encore : « Belle déesse, ne pleure pas, — de mon amour n’aie point de ; souci : — c’est le propre des abeilles — de piquer là où elles trouvent des fleurs. » Peu à peu la fête s’anime et touche au délire ; chacun y prend part, chacun applaudit à un mouvement brûlant, à une attitude nouvelle, jusqu’à ce qu’enfin les danseurs s’arrêtent exténués et retombent du haut de leur rêve enflammé.

Ce n’est point seulement le polo ou la tirana dont le chant se mêle à ces plaisirs enivrans. La tradition orale a conservé, en Andalousie, un assez grand nombre de romances populaires d’une naïve saveur, qui trouvent aussi leur place entre deux danses. Et ici pourrait s’élever plus d’une de ces questions délicates propres à exercer les esprits amoureux de ces sortes de mystères d’histoire et de littérature. Comment ces romances n’ont-ils point été recueillis dans les collections successives qui ont vu le jour ? Comment se sont-ils conservés en Andalousie plutôt que dans la Castille ou les autres provinces de l’Espagne ? Comment se fait-il, en un mot, que l’Andalousie ait gardé plus de traces vivantes des traditions et des mœurs anciennes ? Ces questions, le solitaire les éclaircirait mieux qu’un autre peut-être ; il se contente de reproduire quelques-uns de ces romances, que des chanteurs exercés entremêlent aux danses andalouses. Ne sent-on pas dans une légende telle que celle du comte del Sol comme un parfum de simplicité et de naïveté primitives qui reporte à des temps éloignés ? Et quel est l’instinct de ce peuple qui ne cesse point de goûter une telle poésie ?


« De grandes guerres se publient, — dit le romance ; — entre l’Espagne et le Portugal ; — et c’est le comte del Sol qu’on nomme — pour capitaine général.

« La comtesse, qui est toute jeune, — déjà est en larmes. « Dis-moi, comte, combien d’années — dois-tu rester loin d’ici ? — Si dans six ans je ne suis pas revenu, — vous pourrez vous marier, mon enfant. »

« Les six années passent, et les huit, — et les dix passent encore, — et la comtesse, toujours en larmes — passe ainsi son veuvage.

« Étant un jour dans sa maison, — son père vient la visiter. — « Qu’as-tu, fille de mon ame, — que tu ne cesses de pleurer ?

« Mon père, père de ma vie, — par le saint Graal, — donnez-moi votre permission, pour que j’aille chercher le comte. — Tu as ma permission, ma fille, — que ta volonté s’accomplisse. »

« Et la comtesse, le jour suivant, — triste, s’en va en pèlerinage ; elle parcourt la France et l’Italie, — et toujours des terres sans cesser.

« Déjà, désespérant de tout, — elle s’en revenait vers ici, — quand elle rencontra un grand troupeau dans un immense bois de pins.

« Berger, berger, — par la sainte Trinité, — ne me fais point de mensonges,