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choses légères, se fait sentir sous l’éclat des peintures. Ces danses en effet, qui sont une des originalités de la vie en Andalousie, dont Séville conserve ou rajeunit les traditions, ont une histoire, une filiation où se retrouve comme un reflet des grandes vicissitudes nationales ; elles se divisent en plusieurs familles, et leur caractère varie suivant leur origine purement espagnole, américaine ou arabe. Les danses d’origine espagnole se font reconnaître à une mesure vive et précipitée qui les fait ressembler à la jota d’Aragon ou de Navarre : celles qui sont venues d’Amérique ont une certaine grace molle et libre, indice des passions d’un peuple chez lequel la pudeur est sans empire ; mais de toutes les danses de l’Andalousie les plus curieuses, les plus caractéristiques, ce sont celles qui ont gardé l’empreinte arabe et mauresque, et qui se distinguent par une combinaison étrange de langueurs et de vifs mouvemens alternés. Des chants accompagnent ces danses : ce sont les oles, les tiranas, les polos, issus d’un tronc primitif arabe, la caña. La musique en est simple et triste, mélancolique et profonde ; elle commence par un soupir qui se prolonge, continue sur un ton plus rapide et plus animé pour retrouver bientôt son premier accent, et il arrive parfois que le chanteur lui-même s’abandonne à son propre enivrement, oublie tout ce qui l’entoure, se laisse enlever comme en un rêve magique, tandis que la danseuse, entraînée, semble reproduire dans ses mouvemens cette même ivresse intérieure, cette même poésie. Laissez-vous conduire dans le patio odorant d’une maison de Triana, qui rappelle par sa structure l’époque de la conquête de Séville par saint Ferdinand, et dont les alentours, couverts de chèvrefeuilles, d’orangers et de citronniers, sont baignés par le Guadalquivir. L’attente du plaisir est sur tous les visages. Le Xerexano jette son chapeau aux pieds de la Perla en signe de provocation, et tous deux s’élancent en même temps. Une sorte d’influence étrange semble soulever du sol la Perla frémissante et prêter à tout son être une animation inconnue. Sa tête élégante et fière se penche ou se redresse, et chaque ondulation respire la volupté. Sa taille se plie ou se cambre, et apparaît dans sa souplesse ou dans l’éclat de ses proportions. Elle balance ses bras, les laisse retomber avec langueur, les agite, les élève ou les abaisse alternativement en décrivant mille évolutions ardentes, tandis que son danseur la suit moins comme un rival en agilité que comme un mortel qui suit une déesse. Autour d’eux, chanteurs et chanteuses laissent éclater leurs couplets populaires d’une originalité singulière. « Prends, jeune fille, cette orange, — je l’ai cueillie dans mon jardin ; — ne la partage pas surtout avec un couteau, — car mon cœur est dedans. »

Toma, niña, esa naranja,
Que la cogi de mi huerto :