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et qui revient dans son pays dégoûté et mécontent, l’inquiétude dans l’esprit, le dédain sur les lèvres, parlant de chemins de fer, de stratégie parlementaire, de physiologie politique ou de littérature humanitaire, et trouvant les courses de taureaux un plaisir barbare. L’étranger dans sa patrie était peut-être autrefois modéré et doctrinaire, il est démocrate aujourd’hui certainement. L’auteur poursuit ainsi son ingénieux voyage à travers les mille fluctuations des mœurs, les variations des goûts, les fantaisies et les entraînemens de la vie espagnole.

Pénétrez plus avant pourtant dans l’essence de ces mœurs dont l’auteur des Scènes madrilègnes décrit la surface agitée, écartez un moment ces mille traits extérieurs, variables et confus, d’une société au-dessus de laquelle vingt révolutions ont passé, et qui ne s’appliquent au surplus qu’à un monde restreint : vous vous retrouverez en présence du fond intime, original, permanent de la nature espagnole. — Nulle part peut-être l’homme, pris dans son individualité nationale et morale, n’est moins abaissé qu’au-delà des Pyrénées. Les civilisations complexes, raffinées, savantes, qui tendent à prévaloir, ont de ces faiblesses, de ces nausées terribles, qu’on me passe le terme, dont nous sommes les témoins, parce qu’elles ne vivent que par l’esprit, ne développent que l’intelligence, ne surexcitent que l’imagination ; elles n’entretiennent point le caractère, elles le dissolvent au contraire. Ce qui frappe en Espagne, c’est la permanence du caractère, c’est ce vigoureux sentiment intérieur qui maintient le niveau moral d’une race et lui donne un air viril même dans ses malheurs, c’est cette valeur propre d’une nature pleine de vie et de ressort qui a un mot singulier de défi pour tous les obstacles : no importa ! Analysez ce caractère à travers cette mystérieuse élaboration des mœurs contemporaines, son originalité se relèvera à vos yeux ; vous le retrouverez empreint d’idéalité et de réalité à la fois, libre et soumis, enthousiaste et sensé, familier et fier, résigné et héroïque, sérieux et brillant. L’Espagnol n’est point obséquieux ; il n’a point de ces passions faméliques qui dégradent l’être humain ; la pauvreté ne l’abaisse point. L’instinct d’indépendance, si vivant au-delà des Pyrénées et qui est comme l’élément national primitif, relève l’homme et lui communique cette aisance et cette dignité sans emprunt qu’on voit gravées souvent sur une figure populaire qui passe. Il y a dans l’ensemble de la vie privée, si différente de la vie publique en Espagne, une saveur de liberté pratique qui fait le charme des relations et des mœurs. La vivacité des inclinations ne s’y déguise point sous les hypocrisies calculées ; le caractère national y conserve son ingénuité virile ou gracieuse ; les rapports y sont sans contrainte ; la familiarité a dans les habitudes et dans le langage mille nuances, mille délicatesses de liberté, de dignité facile, d’abandon aisé, qui forment cet esprit original et inimitable de sociabilité