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de « torches de superstition, » de « flambeaux de réaction, » et ces feux s’allument encore chaque année sur nos collines comme des signes naïfs et visibles de ce qu’il y a de durable dans la plus simple tradition. Il a survécu en Espagne plus qu’ailleurs un sentiment dans lequel ce fanatisme radical est fait pour rencontrer un invincible obstacle, c’est le sentiment vigoureux des choses du passé, — cet amour du passé qu’on taxait légèrement d’infatuation puérile, et qui s’est trouvé être une vertu, qui tend sans cesse du moins à ramener à une mesure juste et nationale le travail d’innovation auquel la vie espagnole est en proie.

C’est surtout le côté des transformations qui apparaît dans les Scènes madrilègnes. Les mille nuances, les affectations, les contradictions, les ridicules, les manies de ce monde espagnol en ébullition, M. Mesonero Romanos les analyse avec une vivacité d’ironie subtile ; tout ce tourbillon révolutionnaire qui se réfléchit aussi dans les mœurs et en fait un théâtre « à ombres chinoises, » il le dépeint sans confusion, et ces types imprévus, artificiels, le plus souvent sans durée, développés dans la vie sociale sous la pression de toutes les influences nouvelles qui se succèdent, se mêlent ou se combattent, il les reproduit d’un trait spirituel et fin. N’apercevez-vous pas quelque éclair de vérité dans ces paroles ironiques de la Politicomanie : « Écoutez, dit le héros de l’auteur des Scènes madrilègnes, écoutez la conversation des hommes et des femmes, des enfans et des vieillards, des grands et des petits ; écoutez leurs réflexions, leurs discussions et leurs conclusions, et vous vous convaincrez que la politique est une science naturelle qui pousse spontanément dans l’esprit sans semence ni préparation, que le goût dominant du siècle, en étendant cette faculté naturelle, fait de chacun un improvisateur de lois capable de lutter avec Solon l’Athénien lui-même. » Notre curioso parlante se fait l’exécuteur testamentaire du politicomane, et dans le glorieux inventaire de ce modèle des successions humanitaires que trouve-t-il ? « Une longue liste de créanciers et un système complet d’amortissement de la dette publique, deux ou trois mémoires sur la paix intérieure et un projet de séparation avec sa femme, trois ou quatre livres de philosophie et un pistolet qui devait lui servir, disait-il, quand il serait las de vivre, un traité général d’éducation publique et quatre enfans qui ne savaient pas lire… » Précieux, spirituel et trop exact inventaire, qui a son intérêt pour nous assurément et que vous connaissez, je n’en doute pas ! A un point de vue plus purement espagnol, ne sentez-vous pas aussi ce qu’il a pu y avoir de vrai dans des types tels que celui de l’étranger dans sa patrie ? Cet étranger, c’est celui qui a fait son éducation en France, qui a séjourné à Paris ou à Londres, qui est venu, en un mot, assister au spectacle de nos civilisations plus apparentes que réelles, plus extérieures que profondes,