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magiques, »comme les appelle Larra ; elle a goûté à ces fruits sans saveur qui ont pu affadir sa nature. Voyez pourtant aujourd’hui le mouvement qui semble s’accomplir au-delà des Pyrénées ! on y distingue comme un travail de revendication nationale que rend plus sensible peut-être l’accélération du mouvement révolutionnaire dans d’autres pays. L’Espagne s’est arrêtée dans cette passion abstraite de l’unité politique absolue devant l’indépendance locale de trois petites provinces, — Guipuzcoa, Alava et Biscaye, — qui conservent encore leurs usages, leurs coutumes et leurs lois, et sont, dans ces conditions, un élément de force, tandis que de leur assimilation naîtrait un péril. Cette libre diversité qui tient compte des nécessités traditionnelles et des mœurs garantit la cohésion nationale, sert les provinces basques et l’Espagne elle-même. C’est le triomphe de la réalité politique sur l’esprit de système. Examinez un autre point : malgré la flamme des couvens de Madrid et de la Catalogne incendiés en 1836 par des passions factices, malgré ce sang de quelques moines égorgés par une sinistre émulation de nos fureurs, le sentiment religieux n’est pas moins vivace, et se révèle, en ce moment même, par des symptômes singuliers, par une sorte d’attrait nouveau qui semble s’attacher à la vie claustrale pour les imaginations ébranlées. C’est une tendance qui se fait remarquer aujourd’hui au-delà des Pyrénées et qu’on signalait récemment. Si vous vous arrêtez à des signes plus frivoles, si tous aimez mieux observer ce que deviennent les plaisirs populaires, l’auteur des Scènes andalouses vous apprendra que le nombre des taureaux qui courent et jouent, bien loin de diminuer, a triplé depuis vingt ans, et que des cirques se sont élevés de toutes parts. C’est ce qui me fait dire que l’originalité espagnole, au fond, n’est point morte. Que peut prouver ceci ? Serait-ce qu’il n’est point dans la nature des choses qu’un peuple se transforme par degrés ? Il y a des transformations nécessaires, et celles-là s’accomplissent invinciblement ; elles laissent leur empreinte sur les mœurs comme sur les idées ; mais, qu’on le remarque, ce qu’il y a en elles de nécessaire se limite au point au-delà duquel elles dénatureraient le caractère d’une nation, elles atteindraient non-seulement ce qui est superficiel et transitoire dans ses habitudes, mais ce qui est fondamental, ce qui tient à l’essence même de son génie. Là finit ce qu’il y a en elles de nécessaire ; là s’arrête aussi leur efficacité ; là vient fastueusement et misérablement échouer l’orgueil de l’abstraction révolutionnaire. Nous avons vu, il y a un demi-siècle, de grands reconstructeurs de l’humanité contraints de faire l’aveu de leur impuissance devant le plus simple détail de mœurs ; ils s’étonnaient, eux « qui avaient renversé la Bastille et le trône,… qui avaient vaincu l’Europe, » de ne pouvoir même créer une fête publique ou un costume. Ils dépêchaient des circulaires contre de pauvres feux de la Saint Jean, qu’ils traitaient