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avec fierté ces signes indélébiles de leur nationalité. Cette fidélité instinctive du sentiment national, qui est l’opposé de l’esprit d’abstraction, et qu’on voit lutter avec lui parfois au sein d’un même pays, est aussi un des traits de notre problématique époque ; elle en révèle un des aspects. Analysez ces élémens divers, combinez l’action de ces courans mystérieux : peut-être aurez-vous le secret de ce qu’il y a de compliqué, de contradictoire et d’incohérent dans plus d’une de ces explosions qui se dégagent d’un sol embrasé. Et les traces de cet inexprimable travail, où pouvez-vous les mieux saisir que dans les mœurs ? Ce n’est point sur le théâtre qu’il faut observer et étudier un peuple, c’est dans la vie réelle où sa nature se dévoile sans couleurs factices, dans la vérité dramatique de ses luttes intérieures. Jetez les yeux sur l’Espagne : de remarquables écrits reproduisent le mouvement des idées politiques ; des talens distingués popularisent la science administrative ou économique, initient les esprits aux méthodes et aux systèmes. M. Alcala Galiano a fait, en se jouant, des cours de droit constitutionnel ; M. Posada Herrera a fait avec succès des leçons d’administration. Quoi encore ? l’Espagne a eu des clubs, elle a eu des chaires publiques ; elle a des tribunes et des journaux. Là n’est point toute la vie espagnole assurément, et une, des meilleures parts resterait encore à des peintures de mœurs qui sauraient avoir cette éloquence et cet intérêt propres à la vérité humaine habilement observée, à des œuvres issues de cette même inspiration sous laquelle sont nées les Scènes madrilègnes ou les Scènes andalouses, piquantes explorations de ce domaine intime que l’historien dédaigne souvent, que le politique n’entrevoit pas, que l’économiste met hors de cause dans ses calculs. La science qui se guinde n’a point ce pittoresque et vivant attrait qu’a la description d’une romeria de san Isidro ou de la feria de Mayrena. Ce solitaire, très libre chroniqueur des Scènes andalouses, réussit à vous intéresser à une physiologie de la cape, à une dissertation sur le boléro ou au récit d’une assemblée générale de ces messieurs et ces dames de Triana. Triana, — qui l’ignore ? — est un des faubourgs de Séville, particulièrement hanté par la race gitanesque.

On connaît peut-être le vrai nom de l’auteur des Scènes madrilègnes ; c’est un des spirituels Espagnols contemporains, M. Mesonero Romanos. Après avoir décrit, en quelque sorte géographiquement, Madrid dans un Manuel précieux de documens, l’auteur l’a animé dans les Scènes. L’Espagne réelle apparaît dans cette série de tableaux, ici enveloppée encore de ses couleurs originales, là dans son travail singulier de transformation, plus loin, à demi submergée déjà sous le flot des influences nouvelles qui se propagent. C’est un drame varié que vous avez sous les yeux, dont les scènes se succèdent sous des titres divers : La rue de Tolède, la Procession du saint sacrement, Grandesse et