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son aide l’éloquence mélodramatique de M. Henri Simon, j’aurais préféré que l’auteur nous donnât dans son livre les nobles figures de M. Hansemann, de M. d’Auerswald, de M. de Vincke, de M. Camphausen, de tous ces chefs d’un libéralisme intelligent et sérieux ; l’ouvrage, à coup sûr, y eût doublement gagné.


IV

On a vu par ce tableau quel a été le trouble de la vie intellectuelle de l’Allemagne après la révolution de février. Si l’on juge ce mouvement dans son ensemble, c’est un mélange de stupeur et de violence, de pompeuses chimères et de découragement profond : triste aspect qui s’assombrit encore, lorsqu’on songe à la vie ardente et généreuse qui animait la société de la veille, à la discipline qui multipliait ses forces. Déconcertés par la rapidité des événemens ou séduits par de puériles espérances, les publicistes n’ont pas osé soumettre la révolution à une courageuse critique et en démêler le vrai sens. Toute cette littérature politique, si intéressante naguère par son ardeur, est languissante ou frivole. Cependant, au milieu du désordre produit par la démagogie, dans cet abattement et cette dispersion générale des intelligences, j’ai signalé en maints endroits de consolans symptômes. La philosophie, arrachée à son exaltation solitaire, a été traînée violemment en face de son œuvre, et il semble que ce spectacle l’ait émue. Déjà les chefs gardent le silence, ils hésitent peut-être, ils s’interrogent eux-mêmes et descendent au fond de leur conscience. Descendre en soi, s’interroger scrupuleusement et se connaître, telle a été, à toutes les époques mémorables de la philosophie, le procédé fécond des réformateurs ; telle est aussi pour les sociétés la loi de réparation et de salut. Depuis bien des années déjà, l’homme ne se connaît plus ; il s’est répandu au dehors et s’est abandonné lui-même. Ses triomphes sur le monde extérieur ont contribué encore à le tromper, à lui cacher son être ; les courtisans sont arrivés, et des milliers de voix ont exalté son ivresse. Or, en se perdant, il a perdu Dieu, il a perdu les notions de la société, et, ainsi dépouillé, il est devenu le jouet de tous les mensonges. Pascal disait : Qui veut faire l’ange fait la bête. C’est bien pis encore chez les hégéliens ; ils ont crié au genre humain : Tu es Dieu ! et ils l’ont dégradé jusqu’à la brute. Quel est le remède à des maux si extraordinaires ? Le remède, c’est de créer des hommes. En présence de ces visions monstrueuses ou ridicules qui nous dérobent la lumière du vrai, si l’homme pouvait reparaître dans la sincérité de sa nature, le problème serait bien avancé. Ce que fit Socrate en face des sophistes, ce que fit Descartes au milieu des dernières ombres du moyen-âge et des incohérentes rêveries de la renaissance, il faudrait que chacun de