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la ramasse. Que serait devenue, je vous prie, la gloire de Béranger, si le poète du Dieu des bonnes gens eût écrit des hymnes pour nos clubs ? Où se serait envolée la brillante fantaisie d’Henri Heine, s’il eût suivi M. Freiligrath et M. Herwegh ? La vraie aristocratie du talent est jalouse de sa dignité. Il y avait à Berlin, avant 1848, un rimeur jovial qui n’avait jamais ambitionné de place au milieu des artistes. M. Glassbrenner, — c’est son nom, — était le chantre ordinaire des almanachs ; aujourd’hui que les poètes s’abaissent au langage des rues, M. Glassbrenner est leur égal ; bien plus, il aspire à les remplacer, et l’on a vu tout à coup ce joueur de vielle entonner des strophes révolutionnaires dans le style de M. Maurice Hartmann. Cette mascarade indique assez bien la confusion dont je parle. Voici cependant, au milieu de cette littérature en déroute, un nouveau venu dont on fait grand bruit : c’est l’auteur d’un drame sur Robespierre, M. Griepenkerl. Ce drame a été représenté, il y a quelques semaines, sur le théâtre de Brunswick avec un succès prodigieux ; les critiques les plus autorisés le signalent comme une œuvre du premier ordre et qui annonce hautement un poète. Toutefois, à en juger, si cela m’est permis, sur les éloges même de ses admirateurs, je crains bien que l’Allemagne n’approuve, dans l’œuvre nouvelle, une des tendances les plus fâcheuses de son propre esprit, je veux dire le pédantisme révolutionnaire. M. Griepenkerl a la prétention d’avoir fait une étude impartiale, comme si cette menteuse impartialité était permise au poète en face des monstres qui décapitaient la France ! Cette faute déjà si grave, à mon avis, dans la Charlotte Corday de M. Ponsard, combien elle doit être plus révoltante dans un drame dont Robespierre est le héros ! Je ne comprends pas que le poète puisse être absent de son œuvre, et s’il est tenu de prendre parti, c’est ici ou jamais. L’historien est obligé d’avoir sa foi, le poète encore plus. Qu’il traduise donc, s’il veut, sur la scène les hideux scélérats de 93, mais que ce soit pour les flétrir,

Pour cracher sur leur nom, pour chanter leur supplice,


comme dit l’iambe terrible d’André Chénier. L’Allemagne fait honneur à M. Griepenkerl d’avoir suivi une voie toute contraire ; son pédantisme s’accommode de cette froide étude, et les héros de la terreur lui semblent dignes d’être reproduits gravement, respectueusement, sur la scène tragique, comme les ministres du destin. Tel est, j’en ai peur, le symptôme que révélerait le succès du drame de M. Griepenkerl.

Les romanciers se sont aussi occupés de la révolution de février, mais sans chercher encore à décrire les changemens introduits dans les esprits et dans les mœurs ; la révolution n’apparaît dans leurs tableaux que comme la conclusion de l’ancien état de l’Allemagne. Cette conclusion est blâmée par les uns, glorifiée par les autres ; aucun