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l’enseignement public, il trouva en face de lui les derniers défenseurs du matérialisme du XVIIIe siècle, et c’est précisément à cette lutte que sa philosophie doit son vrai caractère : il serait beau pour l’illustre écrivain de déployer aujourd’hui, contre un ennemi bien autrement redoutable, cette même ardeur, cette même impétuosité juvénile, accrue de tous les trésors d’une vie consacrée à la science.

On est trop heureux, dans ce temps de systèmes ridicules ou de convoitises cyniques, quand on rencontre par hasard une généreuse utopie, le rêve désintéressé d’une belle ame. Un livre intitulé la Pauvreté et le Christianisme[1] a obtenu en Allemagne un succès considérable, grace à l’ardente charité qui s’en exhale et aux naïves espérances qui l’ont dicté. L’auteur, M. Henri Merz, est persuadé que la charité peut seule apporter un remède efficace au fléau de la misère. Chrétien fervent, il semble mettre le christianisme tout entier dans la pratique de l’aumône. Il ne prêche pas la régénération de la société par l’esprit religieux, il ne proscrit pas le luxe, il ne maudit pas le développement excessif de l’industrie ; que la société reste ce qu’elle est et persiste dans les mêmes voies, l’ardent prédicateur n’y trouve rien à blâmer : une seule chose l’occupe, l’organisation de la charité. Et ne croyez pas que ce soit la charité instituée par l’état, l’assistance publique ; cette charité-là est bien froide et surtout bien étroite pour les vastes projets de M. Merz. Il s’adresse aux chrétiens et il voudrait que de leur sein sortissent des saint Vincent de Paul par milliers. Son imagination confiante se promet d’ouvrir à la religion du Christ une phase nouvelle, inattendue, la plus brillante et la plus féconde qu’elle ait parcourue jusqu’à ce jour. Chaque période de l’esprit chrétien, le catholicisme, le protestantisme, le piétisme (c’est lui-même qui les désigne ainsi), chacune de ces périodes a été marquée par le développement de telle ou telle partie de la doctrine de Jésus, chacune a rendu d’immenses services et puis a décliné peu à peu ; il reste aujourd’hui à inaugurer la période spéciale de la charité. Sans doute, la charité a eu ses représentans, ses héros, ses martyrs, à toutes les grandes époques du christianisme ; mais à côté de ces héros le christianisme en suscitait d’autres, il produisait des théologiens, des pères de l’église, des docteurs profonds, des fondateurs d’ordres et des réformateurs ; aujourd’hui, il faut que, ramassant toutes ses forces, il fasse sortir de terre les innombrables armées de la charité. Théologie, doctrine, philosophie, laissons reposer ces antiques domaines où le christianisme à recueilli sa moisson ; la charité ne lui a pas encore donné la sienne. L’auteur, en écrivant ces ardens appels, a la flamme au front et sur les lèvres ; on dirait le Pierre l’ermite d’une croisade. Ce qu’il faut délivrer,

  1. Armuth und Christenthum, von D. Heinrich Merz. Stuttgard et Tibingue, 1849.