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une soumission si complète devant les tribuns de la nouvelle ? Qui se serait imaginé M. Michelet (de Berlin) construisant une cité socialiste, proposant un code qui se termine par des programmes de bal, par des affiches de casino et de théâtre ?

Dans l’ardeur de sa conversion, M. Michelet (de Berlin) n’a pas seulement pris aux jeunes hégéliens leur étrange manière de philosopher, il semble leur envier aussi cette désinvolture équivoque et ces prétentieuses inconvenances qui ne sont pas une médiocre part de leur gloire. L’an dernier, M. Michelet (de Berlin), étant venu assister aux fanfares du congrès de la paix, pensa qu’il aurait bien tort de quitter la France sans annoncer au monde philosophique que l’existence d’un Dieu distinct de l’univers était décidément un dogme rétrograde et puéril. Malheureusement la question n’était pas à l’ordre du jour, et ce frivole Paris aurait bien pu ne prêter qu’une attention distraite à la leçon du publiciste hégélien. Que fait M. Michelet pour mieux se mettre en scène ? Il rend visite à M. Cousin et lui expose les principes de l’athéisme. La conversation s’anime, la lutte s’engage, et le brillant, l’impétueux causeur (ce n’est pas de M. Michelet que je parle), avec l’éloquence d’une raison supérieure et les saillies d’une verve qui ne tarit pas, maintient contre le philosophe allemand les grands dogmes auxquels le genre humain a donné sa foi. M. Michelet (de Berlin) ne voulait apparemment qu’une occasion de se produire ; à peine sorti, il prend ses notes, résume les paroles de M. Cousin, et s’empresse de disserter là-dessus en face du public. Il n’y a que les Allemands, et surtout les jeunes hégéliens, pour imprimer ainsi toutes vives leurs causeries familières. Je regrette seulement que M. Michelet, puisqu’il n’a pas reculé devant cette singulière façon d’agir, n’ait pas poussé l’indiscrétion jusqu’au bout. Avant de donner ses réponses, pourquoi n’a-t-il pas reproduit les paroles de son illustre adversaire ? Certes, nous n’avions pas besoin du témoignage de M. Michelet (de Berlin) pour savoir que le chef du spiritualisme français repoussait avec dégoût les conséquences de la doctrine hégélienne ; nous aurions aimé cependant voir l’athéisme germanique tour à tour foudroyé et bafoué par une voix si éloquente, par une raison si spirituellement aiguisée. M. Cousin, espérons-le, nous en dédommagera. Cette question est désormais la question par excellence. Toutes les misères morales du XIXe siècle, toutes ces cupidités sans frein, toutes ces révoltes de la matière en furie, ce n’est pas assurément l’école hégélienne toute seule qui les a produites, mais elle les résume dans ses formules, elle leur donne par son appareil scientifique une pernicieuse autorité, elle les multiplie par une propagande exécrable. La jeune école hégélienne est devenue l’arsenal de l’Europe démagogique ; c’est là qu’il faut porter les coups. Quand M. Cousin, il y a trente-cinq ans, entra d’une manière éclatante dans