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n’ont pas abandonné pour cela leur mission philosophique ; ils ont publié l’année dernière le plan d’une université libre, où la science vraiment allemande, c’est-à-dire la doctrine hégélienne, doit être enseignée avec toutes ses hardiesses et mise résolûment en pratique. Si cette université n’existe pas encore, il faut en accuser le malheur des temps et les baïonnettes de la Prusse. Ne nous plaignons pas trop cependant, MM. Nauwerck et Grün ont pu déjà exécuter l’article 13 de leur programme, dont voici les termes : « L’examen et la critique de l’université auront un organe scientifique, lequel paraîtra aussitôt que possible sous ce titre : Annales de la libre université allemande. » Les annales de la libre université ont paru[1], et c’est bien en effet l’athéisme le plus décidé qui formera le programme officiel de cette merveilleuse institution. M. Charles Grün, dès la première page de ce manifeste, expose sans vergogne le but de l’enseignement nouveau : -assez long-temps la théorie a nourri les esprits de formules creuses, le cercle des abstractions a été entièrement parcouru ; l’heure est venue de s’approprier enfin le résultat de l’histoire de la philosophie ; ce résultat, c’est la jouissance de ce monde, ou plutôt, comme dit pittoresquement l’hégélien, c’est l’organisation des cinq sens. — Une chose vraiment très méritoire dans la jeune école hégélienne, c’est la franchise avec laquelle ses docteurs proclament tout haut les secrètes pensées de la démagogie. Nos tribuns ne parlent que des droits du peuple et des progrès de l’humanité : meure le peuple ! meure le genre humain ! s’écrie M. Stirner. M. Louis Blanc réclame hypocritement l’organisation du travail : — l’organisation des cinq sens ! répond M. Charles Grün. Au reste, les différentes dissertations qui composent ce premier volume des Annales de la libre université ne sont que de plates et misérables rapsodies. M. Charles Grün, homme de beaucoup d’esprit et d’un esprit singulièrement moqueur, doit être bien honteux d’avoir écrit une introduction aux œuvres de M. Kleinpaul et aux adresses des étudians d’Eisenach. Qu’y faire ? C’est le flot de la démocratie qui monte. Les fous qui ont de l’esprit sont les introducteurs obligés des imbéciles. M. Charles Grün fait bien de s’accoutumer à de tels inconvéniens ; il en verra bien d’autres quand il aura achevé de fonder la libre université allemande.

Est-ce pour garder une place quelconque au milieu des masses grossières qui envahissent l’école, est-ce par crainte d’être relégué dans l’ombre, que l’un des graves esprits de l’ancienne société hégélienne, M. Michelet (de Berlin), vient de proclamer avec fracas son athéisme ? M. Michelet (de Berlin) était l’un des premiers disciples de Hegel, un de ceux qui avaient recueilli directement ses paroles. Quand

  1. Jahrbücher der freien deutschen Academie. Francfort, 1849.