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Lèchemiel, Jean Pellifex, Bernard Plumilége écrivant au scientifique seigneur, ce ne sont plus les moines de Cologne se lamentant en style burlesque sur les continuels échecs de la vieille scolastique : les plaintes que renferment ces lettres sont adressées à M. Arnold Ruge, philosophe rouge et excessivement abstrait ; elles exposent la fâcheuse situation du parti démagogique après les événemens de septembre. Pour mieux imiter son modèle, l’auteur emploie le latin macaronique : Novœ epistolœ obscurorum virorum ex Francofurto Moenano ad D. Arnoldum Rugium, philosophum rubrum necnon abstractissimum datoe. Si vous voulez une plaisanterie fine et originale, ne la cherchez pas là ; M. Vogt, M. Loeffel, M. Wiesner, tous les héros de l’extrême gauche à l’église Saint-Paul, y sont raillés avec les grosses bouffonneries du XVIe siècle, comme si les révolutionnaires de Francfort ne pouvaient pas fournir de nouveaux élémens à une imagination joyeuse. Je ne me chargerais pas d’indiquer, même de loin, les étranges aventures de M. le docteur Wiesner ; pour exprimer de telles choses, il faut le latin d’Ulric ou le français de Panurge. Vraiment il était facile de trouver une peinture plus gaie, une satire plus adroite et plus vive de la démagogie allemande. La démagogie a répondu dans le même style aux lettres des gens de la gauche, on a opposé la correspondance des députés de la droite avec leurs chefs ; seulement la scène change, nous sommes à Berlin : les membres du parti piétiste, M. Leo, M. Choelyboeus, M. de Radowitz, font leurs rapports à M. de Brandenbourg et à M. Manteuffel sur les iniquités du XIXe siècle ; la raillerie s’en prend aux noms ; ainsi, l’on a traduit en latin le nom de ce dernier (Manteuffel), qui est devenu l’homme-diable, vir diabolicus. Que dites-vous de ces pamphlets érudits et de ces espiègleries en langue latine ? Peut-être, après tout, cette polémique est-elle à sa place dans un pays qui a confié à des antiquaires le soin de reconstituer l’Allemagne, et qui a mis le pédantisme au service de sa révolution.

Dans un autre écrit de la même famille, on a travesti le beau livre de Tacite sur les mœurs des Germains. L’auteur annonce une traduction de Tacite d’après un manuscrit nouvellement découvert, et il dédie cette précieuse trouvaille aux savans et laborieux éditeurs des monumens de la Germanie primitive, à MM. Pertz, Jacob Grimm, Lachmann, Ranke et Ritter. Il y a des idées fort heureuses et de spirituelles pages dans cette brochure. Le premier chapitre, consacré aux limites de l’Allemagne, est une bonne satire des prétentions politiques de Francfort. L’auteur est bien plus embarrassé que ne l’était Tacite pour indiquer avec précision les frontières de la race allemande. Demandez à Francfort, s’écrie-t-il, on vous répondra que l’Allemagne est bornée à l’est par la Bohême et le Danube ; demandez à Vienne, on vous dira qu’elle s’étend jusqu’au-delà des steppes de la Hongrie. À Berlin, il y en a qui veulent fixer ses limites à la Vistule, tandis que les habitans