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l’assemblée, jusqu’à ce que, découragé, le visage bouleversé par la douleur, il laisse tomber à terre toutes ses notes. Alors son cœur oppressé déborde ; l’infortuné se soulage en versant des torrens de larmes. » Vous connaissiez la triade de M. Pierre Leroux et ses hymnes à l’amour, connaissiez-vous ses torrens de larmes ? Décidément rien ne manque au mysticisme révolutionnaire : voilà qu’on lui brode une légende dorée !

Scènes et tableaux de l’église Saint-Paul, histoires des révolutions allemandes, études sur Paris et les hommes d’état de février, tous ces ouvrages (je parle des moins mauvais) ne sont que l’image trop fidèle d’une triste époque ; ils expriment la surprise des événemens, l’affaissement des caractères, la confusion des intelligences. Je ne sais quoi de plat, de vulgaire, de languissant, se fait remarquer partout au milieu de la violence des faits extérieurs. S’il fallait faire un choix, je me déciderais pour le groupe des écrits venus de Francfort. Ce qui leur manque pourtant, c’est l’élévation et la force. L’esprit allemand n’a jamais brillé dans les mémoires ; ce genre d’écrits, dont notre littérature est si riche, ne tient absolument aucune place dans la tradition des lettres allemandes, et ce n’est pas le parlement de Francfort qui pouvait ouvrir cette veine heureuse. Produits d’une époque confuse, chroniques d’un parlement dont le moindre défaut est de n’avoir pas su vivre, tous ces ouvrages portent l’empreinte d’une situation fausse et d’un destin précaire. Trouverons-nous plus d’art, un accent plus énergique et plus durable dans les pamphlets qui sont sortis de la lutte ? Je crains que non ; il y a eu des pages assez plaisantes, de joyeuses satires, mais aucune de ces œuvres qui gravent une époque dans le souvenir des peuples. L’Allemagne a possédé, au XVIe siècle, un pamphlétaire fameux, nommé Ulric de Hutten, véritable Rabelais pour la joyeuseté cynique de ses railleries, mais un Rabelais armé de pied en cap, et qui préfère les coups d’estoc et de taille à toutes les douceurs de l’abbaye de Thélème. Depuis une vingtaine d’années, il a été beaucoup question d’Ulric de Hutten ; on s’est adressé à lui comme au modèle du pamphlet allemand, et les champions de la littérature révolutionnaire avant 1848, M. Herwegh, M. Prutz, M. Ruge, le réclamaient tous pour leur chef. C’est encore Ulric de Hutten qui a fourni des armes aux pamphlétaires après la révolution, et, chose piquante, il en a fourni aux deux partis opposés, aux modérés et aux démagogues. Le pamphlet d’Ulric de Hutten est intitulé Lettres des hommes obscurs ; il contient une série de lettres adressées au très profond et très scientifique seigneur Ortunius Gratius par des moines qui lui racontent avec épouvante les progrès de la renaissance des lettres et de la philosophie moderne. Or, pendant le cours de l’année 1848, un membre de l’assemblée de Francfort, un député du centre, M. Schwetzke, assure-t-on, publia un petit pamphlet sous le même titre. Ce n’est plus Mathieu