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vos non vobis ! c’est-à-dire, dévouement inutile ! trésors de génie dépensés en vain ! la révolution échappe aux grands citoyens qui l’ont faite ! Plaise à Dieu qu’il dise vrai, et puisse la sagesse de la France confirmer cet augure ! M. Meissner cependant ne désespère pas autant que cette épigraphe pourrait le faire supposer ; il prophétise comme nos almanachs les plus rouges, il annonce que tous les bouleversemens de l’Europe en 1848 ne sont que des révolutionnettes, et que la révolution, la grande, la vraie révolution éclatera bientôt. Il commence alors l’histoire rapide du gouvernement provisoire. Quand j’ai dit tout à l’heure qu’il en était l’admirateur passionné, je parlais de la fraction la plus démagogique de ce triste gouvernement : M. Ledru-Rollin et M. Flocon, M. Louis Blanc et M. Albert, voilà les hommes d’état de M. Meissner. Que M. Bamberg ne lui demande pas grace pour M. de Lamartine, pour M. Garnier-Pagès : ce sont tous des royalistes et des jésuites. De chapitre en chapitre, l’auteur va s’exaltant toujours, et il en vient bientôt à sacrifier M. Ledru-Rollin lui-même. Tout compte fait, les grands politiques de février, ce sont M. Louis Blanc, M. Raspail, M. Proudhon, M. Pierre Leroux, M. Félix Pyat, et celui à qui Mme Sand a dédié la Petite Fadette. Pour des caractères et des génies de cette nature, M. Meissner n’a pas assez d’enthousiasme et de vénération ; il suit la trace de leurs pas, il grave leurs traits au fond de son cœur, il recueille leurs moindres paroles dans les banquets de la république rouge ; il est, en un mot, l’un des plus sots croyans, l’un des mystiques les plus béats de cette superstition du terrorisme, qui a déjà hébété une partie de l’Europe. Sa croyance fondamentale et la conclusion de son livre, c’est que la révolution de 1848 doit reprendre le mouvement destructeur au point où le 9 thermidor l’a arrêté, et que toute politique qui ne sert pas ce dessein mérite une malédiction éternelle. C’est pour cela que M. Cavaignac est le Sylla de la France, l’homme fatal, l’homme à la tête de mort ; c’est pour cela que M. de Lamartine est le généralissime des bornes, et qu’il n’y a aucune différence entre ces deux personnages et le prince Windischgraetz. En revanche, M. Proudhon, M. Louis Blanc, M. Pierre Leroux, comprennent admirablement la situation : ils se sont replacés au 9 thermidor. Si vous voulez savoir l’espèce de culte que M. Meissner professe pour les hommes d’état du socialisme et à travers quel nuage grotesque il contemple ses dieux, lisez son portrait de M. Pierre Leroux. Il le représente à la tribune de l’assemblée ; dès les premiers mots, l’hilarité commence : ce sont des apostrophes railleuses et de francs éclats de rire. M. Pierre Leroux, sans se troubler, continue l’exposition de son système. « Cependant le bruit devient intolérable - Citoyens, s’écrie-t-il, je vois que c’est un parti pris de ne pas me laisser parler ; je suis pourtant bien sûr que je vous convaincrais… - Nouveaux éclats de rire. C’est en vain qu’il prie, en vain qu’il conjure