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pas, je l’espère, à une défense de cour d’assises. Un critique a remarqué, d’ailleurs, que M. Bamberg était dans d’excellentes dispositions pour écrire cette histoire : « C’est, dit-il, un consciencieux Allemand, une intelligence honnête, candide, à qui la nature a refusé la moindre veine d’ironie. » Heureux homme ! quand on songe en effet aux merveilleuses promesses de la révolution de février et aux désastres qui l’ont suivie, ne croit-on pas entendre les moqueries du destin ? Ces moqueries, M. Bamberg ne les entendra pas, et de là son privilège d’historien. L’ironie ne se glissera pas sous sa plume, sa foi ne recevra aucune atteinte, et, au milieu de tant d’événemens qu’on pourrait appeler d’impitoyables sarcasmes, il poursuivra sa tâche avec aplomb. Il ne suffit pas cependant d’être inaccessible aux doutes railleurs ; la crédulité a bien aussi ses inconvéniens : le grand tort de M. Bamberg est d’avoir pris au sérieux les hommes et les choses qui appartiennent au genre grotesque. Quel est, je vous prie, le résultat de cette gravité inopportune ? Nous pensions éviter l’ironie, voilà au contraire l’ironie qui redouble ; décidément on n’y échappera pas. Un des passages les plus singuliers du livre est celui où l’auteur énumère les causes qui rendaient, selon lui, la catastrophe inévitable. Non-seulement il accueille comme paroles d’Évangile tous les mensonges, toutes les calomnies dont se servaient les habiles auprès des béotiens, non-seulement il ose parler de corruption après les ignominies du gouvernement provisoire et de l’abaissement de la France à l’extérieur après l’expédition de Risquons-Tout, ces causes ne lui suffisent pas : en investigateur consciencieux, il remonte jusqu’à la jeunesse de Louis-Philippe. Si la France n’a pu supporter le joug du tyran, c’est parce que le duc de Chartres avait été aide-de-camp de Dumouriez ; si la monarchie constitutionnelle devait disparaître, c’est parce que le duc de Chartres fut obligé d’émigrer après les grandes journées de Valmy et de Jemmapes. Dès l’année 1792, la révolution de 1848 était décrétée dans la conscience du peuple. O profondeur de la science allemande !

Voici encore un écrivain qui apporte dans ses jugemens une crédulité béate : c’est M. Alfred Meissner, l’auteur des Études révolutionnaires sur Paris [1]. M. Bamberg est un démocrate honnête, M. Meissner un terroriste sentimental. Admirateur dévot du gouvernement provisoire, il a eu la douleur d’arriver à Paris au moment où les iniquités de ses héros n’étaient plus un secret pour personne. Son livre est une protestation véhémente contre le réveil de la conscience publique ; c’est un mélange d’adoration profonde pour les grandeurs déchues du socialisme et de colère implacable contre toutes les fractions du parti de l’ordre, en comprenant dans ce parti tout ce qui n’appartient pas à la démagogie extrême. Voyez d’abord cette mélancolique épigraphe : Sic

  1. Révolutionoere Studien aus Paris, von Alfred Meissner, Francfort, 1849, 2 vol.