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se rendre compte du même phénomène, en supposant que nos affirmations irrésistibles ont la puissance de s’imposer à nous, parce qu’elles sont la vérité, l’expression même de la réalité, et que nous possédons en nous une faculté d’entendement dont le propre est de percevoir la réalité telle qu’elle est. — Dans un sens, toutes ces opinions sont synonymes ; elles s’accordent à soutenir que, si une idée est incontestable pour un penseur, cela ne tient nullement à la nature propre de ce penseur, à ses limites à lui, à ce qu’il a appris ou acquis. — Tout est expliqué par la seule valeur de l’idée, par sa nature intrinsèque. Elle est irrésistible pour l’un, parce qu’elle est une chose irrésistible pour tous ; chacun, si elle est irrésistible pour lui, doit en conclure qu’elle l’est pour tous. Un phénomène se passe en moi, donc il se passe chez tous mes voisins. La règle pratique qui découle de ces prémisses est assez évidente. Chaque homme, en réclamant le droit de croire à ses principes, réclame celui de les regarder comme l’éternelle vérité et de combattre à outrance toutes les autres opinions comme d’éternelles erreurs. Idéalistes, théologiens et sensualistes, tous ceux qui n’ont pas voulu attribuer la valeur de leurs idées à leurs propres limites, sont fatalement arrivés là ; tous, en croyant soutenir la cause de la liberté, ont propagé les tendances qui rendent la liberté impossible ; tous ont fait de l’individu le juge en dernier ressort de la loi sociale ; tous sans exception ont proclamé le saint droit de l’émeute, Barclay comme les autres.

Ce droit sacré de l’insurrection, les quakers, je l’ai dit, n’y ont pas recouru, sauf dans les cas spécifiés par leur apôtre. Loin de se montrer enclins à l’insubordination, ils ont fait de l’obéissance leur vertu dominante, et ce n’est même que par obéissance qu’ils ont refusé de payer les dîmes. Cela indique que leur instinct était plus sage que leur confession de foi. Tel est le trait saillant de leur histoire. À lui seul, il vaut tous les systèmes du monde, car il est un symptôme de bon augure, une preuve vivante que des hommes de notre temps ont été capables de bien se diriger eux-mêmes à travers de nombreux écueils. À lui seul, il vaut aussi bien des enseignemens, car il nous apprend à quelles conditions la liberté peut s’acquérir. Ce que les quakers ont défendu et glorifié, c’est à la fois la chose la plus sainte et la plus terrible. Sachons-le bien il n’y a absolument rien de beau, ni de juste, ni d’avantageux en soi à ce que les individus se fassent leur propre loi, s’ils se la font mal ; cette liberté-là ne se verra jamais. Tant que les hommes auront l’instinct de conservation, le seul moyen d’obtenir un droit sera d’acquérir d’abord la dose de sagesse nécessaire pour qu’il soit sans danger. Chez nous, les réformateurs de toute nuance prônent la liberté en prenant sous leur protection toutes les brutalités, les haines et les fanatismes qui en font une menace et un instrument de mort.