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de la Société des Amis ont eu beau se proclamer éternels, Dieu se rit des axiomes, et, quelles que soient les formules que prononcent les lèvres des hommes, le sens qu’ils y attachent implique toujours forcément tout ce qu’ils ont vu, tout ce qu’ils ont pu apprendre. À une époque plus sage, les croyances de Fox se sont trouvées professées par des êtres naturellement observateurs. La faculté d’examiner était en eux ; par cela seul qu’elle existait, elle a eu besoin de s’exercer ; elle a moissonné, elle a emmagasiné ses récoltes, et la foi en une révélation immédiate n’a servi qu’à faire de ces mystiques-là des disciples de Bacon. Le résultat accumulé de leur expérience pratique a été leur oracle. En croyant renier leur raison, ils ont simplement renié leur logique, leurs préjugés, leurs hypothèses gratuites, et, ainsi arrachée à l’esclavage de tout système, leur intelligence a été d’autant plus docile à recevoir les enseignemens de la réalité.

C’est là, qu’en est maintenant le quakérisme. Il est revenu au mépris de toute théorie qu’enseignait son fondateur, en y joignant l’esprit d’examen que ne possédait pas G. Fox. En d’autres termes, après avoir cessé d’être une secte mystique sous l’influence ou du moins du temps de Barclay, il s’est retrempé dans son essence première, car le mépris de toute théorie, remarquons-le bien, ce n’est rien moins que le fond même du mysticisme, l’instinct de conservation de l’individualité. Le quakérisme avait donc un principe de vie, comme je le disais en commençant. À l’époque où il est né, la cause qu’il venait défendre pouvait triompher ; chaque jour, elle a gagné du terrain. L’avenir lui appartient, je crois ; le présent lui est déjà en grande partie acquis. Regardons autour de nous, ouvrons tous nos livres : qu’y trouverons-nous ? De l’art intime, de la poésie intime. Il semblerait que nous avons tous pris modèle sur les mémoires des quakers. Ce ne sont point les doctrines des Amis qui ont nourri le talent de Wordsworth, cela est certain ; Wordsworth pourtant n’en est pas moins un quaker, et Coleridge aussi, et tous les poètes de marque avec eux. La littérature en masse s’est convertie au quakérisme le jour où elle a osé croire que coursier n’était pas plus poétique que cheval, et où elle a mis ainsi la naïveté au-dessus du savoir-faire, l’originalité au-dessus du bon ton cérémonieux. Elle s’y est convertie pour notre malheur ou notre avantage, suivant ce que nous aurons de sagesse : — pour aller à toutes les folies de l’orgueil et de l’égoïsme avec ceux qui, en s’inspirant d’eux seuls, ne trouveront en eux que l’aveuglement d’une raison trop faible et d’une conscience incomplète ; — pour aller à toutes les gloires d’une noble sincérité avec ceux qui auront la défiance d’eux-mêmes et le respect d’autrui. Rousseau ou Allen, voilà les deux aboutissans possibles. De quel côté nous dirigerons-nous ? Dieu le sait. En tout cas, c’est bien l’évangile littéraire des modernes que Fox avait annoncé à l’avance,