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et, au bout d’un certain temps, à les mettre en liberté. Aussi peut-on dire en général que la réforme des prisons, l’abolition des peines capitales, la suppression de la traite, l’émancipation des noirs et la paix universelle ont été des causes soutenues par toute la famille des Amis. Pour les faire triompher, ils ont écrit, ils ont formé des associations, ils ont adressé des pétitions à la législature de l’Union et au parlement anglais, ils se sont mis en rapport avec les diplomates et les souverains des principales nations de l’Europe. Eux aussi ont envoyé leurs plénipotentiaires au congrès de Vienne. On connaît les noms de John Woolman et d’Antoine Benezet, le quaker français (né à Saint-Quentin). Ils ne sont pas les seuls pour qui la philanthropie ait été une passion, un fanatisme peut-être. Aux efforts individuels les assemblées ont joint leur concours. Bien que dans le principe elles ne se fussent pas prononcées absolument contre l’esclavage et que Penn lui-même fût propriétaire d’esclaves, dès 1727 le meeting annuel de Londres condamnait en termes formels le trafic des noirs. En 1754, la société fit une obligation à tous ses membres d’émanciper leurs esclaves sous peine d’exclusion.

À l’égard des Indiens, la conduite des quakers a moins varié encore. Sans armes et sans défiance, Penn se rendit au milieu d’eux, il leur parla du Dieu qui faisait briller son soleil pour le blanc comme pour l’homme rouge. Ne voulant rien devoir à la violence, il leur acheta les terres du pays qui lui avait été concédé, et nulle goutte de sang quaker (dit M. Bancroft) n’a jamais été versé par les populations indigènes. Leur imagination avait été frappée par cette grandeur à l’antique, et les femmes des solitudes revoyaient en rêve le bon quaker prêchant dans les rues de Londres. Si les sauvages de l’Amérique n’ont pas été initiés à nos lumières, comme Penn se l’était proposé, la faute n’en est certainement pas à ses coreligionnaires. Des missionnaires les ont souvent visités, et plusieurs tentatives ont été faites pour les décider à envoyer leurs enfans dans les écoles de la Pensylvanie. En 1795, un comité s’établissait pour civiliser les Indiens ; d’autres comités ont été également organisés pour conquérir à la civilisation les naturels de l’Afrique. C’est là le roman de la vertu quakeresse. Il a été long ; il dure encore ; il n’est malheureusement pas le seul égarement de l’enthousiasme des Amis. Quand on compte sans la nature, on fait souvent le mal en voulant faire le bien. C’est là ce qui leur est arrivé. S’ils ont eu tous les dévouemens et les héroïsmes de la charité, ils en ont eu toutes les folies ; ils ont aimé les hommes comme des mères aveugles ; ils ont aimé les prisonniers jusqu’à vouloir désarmer la société contre la barbarie ; ils ont aimé l’humanité jusqu’à vouloir supprimer la justice, le châtiment des fautes et ses terreurs protectrices. À y bien regarder, au fond de tous leurs actes et de toutes leurs paroles s’est constamment