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leur enseignait le mépris de toute expérience et de toute précaution. Contre cet autre danger, ils furent plus ou moins protégés par leur propre sagesse, par l’éducation qu’ils avaient reçue dans la mère-patrie.

Penn fit le reste. À tout prendre, c’est une magnifique figure que la sienne. Quelles que fussent ses illusions, au système se joignaient chez lui un haut esprit d’observation, une grande promptitude à profiter des leçons de la réalité, et surtout un fonds inépuisable de rectitude et de bonté. Ses projets de loi et les considérations qui les précèdent renferment d’utiles enseignemens. Quaker de la seconde période, il se souvenait de la discipline de son église. S’il admettait en principe le dangereux oracle, il ne l’abandonna pas à lui seul, tant s’en faut il lui donna pour règle tout un code de morale politique, comme Barclay lui avait donné un corps de doctrine, et ce code-là résumait bien toute l’expérience du passé. Comme législateur, il croyait n’écrire que les révélations de la voix qui parle à tous. En réalité, il recevait les révélations d’une voix qui lui parlait à lui, et qui avait su apprendre bien des choses.

Avant de fonder sa grande colonie, Penn, en qualité de propriétaire partiel du Nouveau-Jersey, avait déjà contribué à y diriger les premiers pas des quakers dans la carrière politique. En 1680, lorsque la Pensvlvanie lui eut été accordée en pleine propriété, il fit noblement abnégation de ses intérêts pour n’écouter que sa conscience. Il concéda aux habitans de sa province le droit de se régir eux-mêmes, et, parmi les colonies naissantes, celles qu’il prit pour modèles furent le Rhode-Island et le Maryland, qui avaient déjà été dotés de la liberté de conscience, le premier par un puritain, Roger Williams, le second par un noble catholique, sir George Calvert. La constitution qu’il avait rédigée en Angleterre posait en règle générale que les emplois civils seraient ouverts à tout chrétien, à quelque secte qu’il appartînt, et que toute personne reconnaissant l’existence d’un Dieu et l’obligation de vivre en paix et en équité avec ses semblables ne pourrait jamais être inquiétée pour ses convictions, ni forcée de concourir à l’entretien d’aucun culte. Son premier plan de gouvernement dut être modifié toutefois, et il le fut même à quatre reprises. Dans le principe, le pouvoir de préparer et proposer les lois appartenait à un conseil élu par tous les propriétaires, et les projets de lois, après avoir été affichés, étaient ratifiés ou rejetés par une autre assemblée également élective, dont les fonctions se bornaient ainsi à peu près à transmettre les décisions des électeurs primaires. Cela ne put durer, et il fallut revenir à une forme plus rapprochée du gouvernement représentatif ordinaire. Plusieurs lois spéciales trop empreintes de quakérisme s’en allèrent aussi peu à peu, entre autres celles qui statuaient que tout enfant devait, apprendre un métier à douze ans, que les cartes, les