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Fox songèrent à suivre l’exemple des puritains. Un certain nombre d’entre eux s’associèrent pour acheter une moitié du Nouveau-Jersey, où ils établirent un gouvernement suivant leurs idées. Peu après (1681), Penn entreprit de coloniser la vaste étendue de terrain qui forme actuellement le territoire de la Pensylvanie. La concession lui en avait été faite en acquittement d’une dette contractée par la couronne envers son père, et sa charte de propriété lui laissait des pouvoirs presque illimités. Étrange destinée de l’Amérique, où devaient émigrer et s’essayer toutes les exaltations de l’Europe, tous les systèmes sortis de la vieillesse d’un vieux monde ! A côté des théories de Locke qui se faisaient constitution pour la Caroline, à côté des puritains qui s’efforçaient de fonder leurs républiques théocratiques où la qualité de citoyen était confondue avec celle de membre de l’église, les quakers, à leur tour, purent à la suite de Penn, tenter sur une large échelle la sainte expérience. Un champ immense était ouvert à leur activité et à leurs espérances, ils s’y élancèrent en véritables mystiques. La foi de leur premier apôtre n’était pas morte en eux, elle s’y était seulement transformée. S’ils ne croyaient plus à l’infaillibilité des entraînemens irréfléchis, ils croyaient à celle des grands principes c’était toujours croire que, sans avoir rien appris et avant d’avoir rien vu, tout homme a le don de tout savoir, grace aux révélations de son oracle intérieur. Le culte, l’idolâtrie plutôt des idées génériques sous le nom de notions innées ou de principes éternels, c’était là précisément ce qui était sorti du cartésianisme pour enfanter plus tard 93. Je ne m’étonne pas que le XVIIIe siècle se soit passionné pour les enthousiastes Pensylvaniens, ils partageaient plus d’une de ses hérésies. La révélation immédiate, telle que la concevait Penn lui-même, était bien proche parente de la religion naturelle de nos philosophes : de part et d’autre, la croyance aux miracles du sentiment ressemblait fort à la glorification de l’ignorance.

Toutefois la valeur pratique des principes dépend des circonstances et des hommes qui les interprètent, et peut-être les doctrines qui ne devaient pas nous porter bonheur à nous ont-elles été plutôt favorables que nuisibles aux quakers de la Pensylvanie. Le sol où ils venaient édifier une société était un terrain vierge. Là, plus de ces élémens hétérogènes qui abondent dans les vieilles civilisations et qu’il est si difficile de mettre d’accord : tous les rebâtisseurs arrivaient avec des croyances analogues, des besoins semblables ; tous arrivaient pour recevoir des terres, pour être liés au sol par les mêmes intérêts. Dans de telles conditions, il n’y avait nulle raison pour rétablir tout d’un bloc une hiérarchie sociale qui n’eût répondu à aucune réalité. Un esprit systématique pouvait seul déduire d’une conception à priori la nécessité d’un pareil arrangement. Contre cette aberration, les quakers étaient gardés par leurs propres erreurs, par ce mysticisme qui