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Nous venons d’entendre les accusations lancées par Keith contre les quakers de son temps. Quoique son témoignage doive être suspect, comme celui d’un raisonneur systématique, aux yeux duquel on était forcément déiste par cela seul qu’on ne professait pas son christianisme à lui, il n’est guère possible de nier qu’il n’y eût dans le quakérisme une pente presque fatale vers le déisme. Tous ses dogmes y pouvaient conduire, à commencer par le premier, par cette lumière intérieure qui suffisait à tout, et qui cependant aurait difficilement suffi à enseigner l’histoire de la rédemption. Quoi qu’il en soit de la doctrine, un fait certain, c’est que de 1800 à 1805 ce fut bien le déisme qui se trouva face à face du christianisme pour lui disputer la société des Amis. Le signal des hostilités fut donné par une quakeresse américaine, une célèbre prédicante, qui s’était assez fait remarquer dans l’exercice du ministère pour être chargée d’une mission religieuse en Angleterre. Hannah Barnard, tel était son nom, et avec elle bien des quakers d’Amérique et d’Europe ne purent admettre que Dieu eût violé ce que l’Apologie elle-même proclamait formellement comme l’éternelle justice. Ils refusèrent donc de croire à l’extermination des Cananéens et à maint autre passage de la Bible. En général, ils professaient que tout texte des Écritures où Dieu est représenté comme ayant agi contrairement à ses divines perfections, telles que la lumière intérieure nous les représente est par là même convaincu d’imposture et doit être rejeté. Ce n’était rien moins que le rationalisme de Voltaire, cette célèbre méthode géométrique qui a pour règle d’admettre uniquement ce que la raison peut expliquer, et de déclarer absurde ou impossible tout ce qui ne s’accorde pas avec ses idées du possible, tout ce qui ne peut pas être considéré comme un effet des lois qu’elle a conçues au préalable. En raisonnant ainsi, les novateurs étaient arrivés à nier la conception miraculeuse du Christ et tous les miracles, à biffer comme apocryphe la totalité du Pentateuque, etc. « Ils donnent au Christ le nom de Sauveur (lisons-nous dans un écrit publié en 1804 par un membre orthodoxe de la société) ; mais, suivant eux, les apôtres sont des sauveurs au même titre : ils reconnaissent la divinité du fils de Marie, mais ils attribuent la même divinité à tout esprit immortel. » On voit comment Fox avait ouvert la voie au déisme en annonçant que chaque homme possédait en lui le même oracle qui avait révélé les Écritures.

Cette fois les meetings ne se bornèrent pas à désavouer les dissidens en raison de leur esprit de turbulence ; ce fut en raison de leurs doctrines qu’ils les condamnèrent. En Angleterre comme en Amérique, ils usèrent largement du droit d’excommunication, et la société se montra résolue à repousser de son sein quiconque contesterait un seul passage des Écritures. Qu’est-ce à dire ? Que le jour où le sens propre (le révélateur de toute vérité) s’attaqua à l’expression de toute vérité,