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Ce raisonnement, est plutôt d’un royaliste que d’un républicain Si le théâtre a pu, sans danger nous montrer des souverains vicieux et criminels, c’est probablement que tout le monde était du même avis sur leurs crimes, que leur exemple ne pouvait faire illusion à personne, et que ces mauvais instincts, développés par la puissance ou inhérens à des natures perverses, devenaient entre les mains de grands poètes les instrumens d’une moralité austère et d’une irréfutable leçon. Racine et Shakspeare n’ont pas, que nous sachions, failli à cette tâche, et leur œuvre venge ou rétablit ces grandes lignes, ces principes immortels que brisent ou altèrent pour un temps les crimes des rois comme ceux des peuples. En est-il de même de ces personnages sur lesquels se débattent encore les contradictions passionnées des partis ? Qui sera Macbeth ou Duncan, Néron ou Britannicus, Richard ou Édouard, dans cette poétique des drames révolutionnaires ? Vous ferez-vous, comme les poètes de Britannicus, de Macbeth et de Richard III, le vengeur de l’humanité, flétrissant les excès et les crimes, qu’ils partent d’en bas ou d’en haut ? Mais où commence-t-elle pour vous, cette humanité ? Les girondins votant sans conviction la mort du roi qu’ils auraient pu sauver vous semblent-ils beaucoup plus humains que les montagnards, parce qu’ils font de beaux discours et citent Horace ? Sieyès ajoutant à son vote cette cruauté laconique : La mort sans phrase, vous paraît-il plus humain que Danton ? Et Danton lui-même, tout sanglant encore des massacres de septembre, mérite-t-il que vous fassiez en son honneur une bien glorieuse exception ? Un écrivain très distingué, M. de Molènes, a fort spirituellement remarqué que se faire l’historien d’une révolution, c’est déjà l’accepter, y croire et s’y complaire ; nous ajouterons, que c’est en subir, à son insu, l’impitoyable logique. Il y a dans ces grandes violations du repos public, des lois établies, des institutions d’une société et d’un pays, je ne sais quel entraînement fébrile qui vous saisit, vous pousse et vous précipite aux extrêmes, dès qu’on y porte la main ou le regard. M. de Lamartine n’avait pas su se garantir de ce péril, et M. Ponsard n’y a pas échappé. Nous sommes persuadé qu’à l’instar de son brillant prédécesseur il s’était mis à l’œuvre avec des prédilections girondines : eh bien ! cédant comme lui à la force des choses, à ce crescendo révolutionnaire dont on devient le complice en le retraçant, il a fini par s’éprendre de la figure plus accentuée de Danton ; même, l’oserons-nous dire ? il y a une scène, la scène capitale du drame, où Danton pâlit, et où Marat, paraît être le seul logicien de la révolution logique de cannibale et de bête fauve, mais dont l’énergie sauvage domine la phraséologie sonore de Danton et les réticences hypocrites de Robespierre. Cette préférence, nous le savons, est bien loin de la pensée de M. Ponsard : ne suffit-il pas cependant, pour condamner son système, que les spectateurs superficiels ou vulgaires puissent un instant s’y tromper ?

Il existe, selon nous, une impartialité plus haute, plus décisive et plus féconde que celle dont M. Ponsard a fait sa muse : c’est celle qui, écartant les distinctions politiques, les querelles de partis et les passions du moment, peu soucieuse de savoir si les actions qu’elle juge émanent d’un roi ou d’un peuple, soumet ces actions aux lois éternelles qui régissent ; l’humanité, et y reconnaît, comme base de ses arrêts, tantôt la passion étouffant la conscience, tantôt la conscience triomphant de la passion. Que celle-ci soit revêtue de la pourpre souveraine ou de haillons déguenillés, qu’elle profite, pour s’assouvir, de l’omnipotence