Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à croire qu’il est bon que le pays comprennet qu’il n’est pas absolument tenu de mourir selon les règles. Oui, cherchons des remèdes, puisque, nous nous sentons malades, puisque la phthisie légale qui nous consume a des signes de plus en plus évidens ; mais, si nous cherchons des remèdes, cherchons-les qui soient vraiment opposés au mal. Or, le mal actuel, le mal urgent, c’est la mauvaise organisation du suffrage universel. Pourquoi donc hésiter à faire une loi électorale qui corrige les vices incontestables du suffrage universel actuel, qui donne à l’article 23 de la constitution ses conséquences légitimes, et qui substitue à la circonscription administrative des départemens de véritables circonscriptions électorales déterminées par le chiffre de la population ? L’art. 76 de la constitution permet à la loi de changer la division administrative ; à plus forte raison, il permet, j’imagine, de séparer la circonscription administrative de la circonscription électorale.

Nous avons souvent cherché à nous expliquer pourquoi, tout le monde voyant le mal, personne ne voulait aborder le remède ; pourquoi, tout le monde sachant que le suffrage universel, tel qu’il est organisé actuellement, doit nous tuer à jour fixe, personne ne proposait de corriger cette organisation destructive. On nous a dit que le parti légitimiste ne voulait pas qu’on touchât à l’organisation du suffrage universel, parce qu’il croyait que le suffrage universel lui était favorable. À cela nous avons toujours répondu deux choses : la première, c’est qu’il ne s’agissait pas de détruire le principe du suffrage universel. La seconde chose, c’est que le parti légitimiste doit calculer combien de temps encore le suffrage universel lui sera favorable. Il jouit du passé en ce moment, il n’est pas sûr de l’avenir. D’ailleurs, quand même nous supposerions que le parti légitimiste garderait son ascendant électoral dans les provinces où il l’a maintenant, quel avantage y trouverait-il, si partout ailleurs dans la France le suffrage universel donnait la majorité au parti socialiste ? Le parti légitimiste viendrait dans l’assemblée jouer le rôle de minorité, et nous doutons beaucoup que la majorité socialiste laissât à la minorité légitimiste la moindre liberté. Dans une assemblée socialiste, la minorité légitimiste aurait le rôle de victime ou de complice. Cela n’est pas tentant.

Il est impossible que le parti légitimiste, éclairé par l’expérience, ne comprenne pas qu’il a le même intérêt que le reste du parti modéré à modifier l’organisation du suffrage universel. Faire des lois sur la presse et sur les clubs, c’est fort bien, et nous serions disposés à les voter, sauf amendemens ; mais ces lois auraient besoin, selon nous, d’être précédées d’une autre loi plus décisive, nous voulons dire d’une loi électorale. La loi sur la presse et la loi sur les clubs peuvent bien compléter un système de gouvernement que nous approuvons, puisqu’il est nécessaire ; mais elles ne créent pas ce système. Ne voyez-vous pas, en effet, que ces lois que vous proposez et que vous votez à grand’peine, le parti socialiste s’en moque au fond du cœur, parce qu’il croit maintenant que le suffrage universel, tel qu’il l’a organisé, lui donnera infailliblement la majorité, et qu’alors, une fois maître du pouvoir, il balaiera d’un seul coup toutes ces lois si péniblement élaborées ? Le calme qu’il garde en ce moment et qu’il impose à sa turbulente armée n’a pas une autre cause. Il espère et il attend. Les lois de la presse et des clubs lui déplaisent, et il les maudit ; mais il se gardera bien de venir les combattre dans la rue. Il est patient, parce qu’il