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plus ou moins d’effet que le vote d’un habitant de Seine-et-Oise. Or, pour égaliser ainsi les effets des votes, il faut régler le nombre des représentans d’après le chiffre de la population, et, ’pour cela, faire ce qu’avaient fait les constitutions diverses de la première république, décider par exemple qu’il y aurait un député par chaque cinquante mille ames de population, faire enfin des groupes égaux de population électorale ; telle était la conséquence naturelle de l’art. 23. Au lieu de cela, que fait l’article 30 ? Il fait rentrer tant bien que mal la répartition de l’électorat dans le cadre des circonscriptions administratives. Ce n’est plus chaque groupe électoral qui a un certain nombre de représentans, c’est chaque département. De cette manière, la proportion est arbitraire au lieu d’être exacte et précise, et l’élection n’a plus pour base la population du territoire général de la république, mais la population particulière de chaque département ; de cette manière encore, les votes n’ont plus une égale valeur, ou plutôt ce sont les départemens qui sont tant bien que mal égalisés les uns aux autres, eu égard au chiffre de leur population, chiffre essentiellement variable d’année en année. Supposez qu’un département gagne en dix ans cinquante mille ames de plus, la constitution ne dit pas qu’il aura droit pour cela à un représentant de plus. Il faudra une loi pour attribuer un représentant de plus à ce département progressif ; mais ce représentant que vous donnerez en plus à l’est, je suppose, il faudra l’ôter à l’ouest, car l’article 21 fixe à 750 le nombre des représentans du peuple français, comme si on avait pensé qu’en république la population ne doit pas augmenter. Les États-Unis ne sont pas de cet avis.

Quoi qu’il en soit, entre l’article 23 et l’article 30, il y a une contradiction de principes, sinon de mots, qui est évidente. Or, quand deux articles se contredisent, qui est chargé de les accorder, sinon la loi ? Il ne s’agit pas ici de réviser la constitution, il ne s’agit pas non plus de la violer ; il s’agit de l’interpréter et de mettre d’accord l’article 30, qui n’est qu’un article réglementaire, avec l’article 23, qui est un article de principe. Le suffrage ne doit pas seulement être universel et direct, il doit être égal. Or il n’est pas égal, il n’a pas des effets égaux, quand l’élection ne se fait pas par groupes égaux de population, mais par départemens, c’est-à-dire par groupes inégaux.

M. de la Rochejaquelein a proposé à l’assemblée de consulter la nation sur le choix à faire entre la république et la monarchie, et, comme on a dit à M. de la Rochejaquelein qu’il semblait avoir mauvaise grace à revenir sur le choix qu’il avait fait lui-même de la république au 24 février 1848, M. de la Rochejaquelein a répondu assez lestement qu’il avait voulu faire l’essai de la république. Il parait que l’essai n’a pas plu ou n’a pas réussi, selon M. de la Rochejaquelein. C’est pourquoi, il pense qu’il serait bon d’adresser au pays, une de ces questions qu’on ne fait en général que lorsqu’on est sûr de la réponse. Puisque M. de la Rochejaquelein était en train de questionner le pays sur la constitution, nous aurions voulu qu’il l’interrogeât un peu sur le scrutin de liste et sur l’organisation actuelle du suffrage universel ; nous sommes persuadés, en effet, que le nœud de nos destinées sociales est dans l’organisation du suffrage universel. Toute mesure, toute démarche qui aura pour but d’améliorer cette organisation nous paraîtra une mesure décisive, un remède analogue au mal Toute autre mesure nous laissera indifférens. Nous n’en voulons pas à M. de la Rochejaquelein de sa question ; nous serions même disposés