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mieux aux pieuses obscurités de la foi qu’à l’éclat de la description poétique.

Je n’oserais comparer à ces descriptions élégantes et spirituelles qu’une description d’un genre complètement opposé, je veux dire celle des légendes apocryphes. Là, le récit est plein d’imagination à force d’être crédule. Telle est aussi bien la nature de l’imagination : il faut, pour qu’elle plaise, qu’elle croie tout, ou bien, si elle a des doutes, il faut qu’elle les cache sous l’éclat de la poésie. Encore faut-il dire que cette dernière ressource lui réussit moins bien. L’imagination plaît plus quand elle est naïve que quand elle est savante. Les descriptions de l’enfantement de la Vierge que je trouve dans les apocryphes sont bien différentes de celles de Sannazar ; mais elles sont aussi chastes, si même elles ne le sont pas plus, parce que l’imagination, dans les apocryphes, jette un voile sur ces descriptions à force de naïveté et de foi, comme, dans Sannazar, à force d’élégance et de grace.

Dans Sannazar, lorsque le Christ est conçu, la nature, interdite et confuse, s’étonne et demande les causes du changement de ses lois ordinaires. Le poète s’est contenté de mettre en scène la nature, être de raison, ce qui sent l’allégorie ; l’imagination des apocryphes est plus hardie[1].

« Le Christ allait naître. Joseph vit tout à coup le ciel s’arrêter, l’air rester immobile, et les oiseaux interrompre leur vol. Il regarda sur la terre, il vit une barque pleine de vivres et des paysans qui déchargeaient la barque ; mais, quand leurs mains voulaient prendre, elles ne prenaient pas ; quand leur bouche voulait saisir la nourriture, elle ne la saisissait pas ; et, comme malgré eux, leur visage était tourné vers le ciel. Il vit des brebis dispersées çà et là ; elles n’avançaient plus et restaient immobiles ; le pasteur levant le bras pour les frapper de sa houlette, le bras restait levé et suspendu. Joseph regarda aussi dans le fleuve, les chèvres penchées sur le bord pour boire ne buvaient pas. Tout restait immobile et interdit. »

Je ne sais si je me trompe, mais cette suspension du mouvement de la nature, ce ciel, cet air, ces oiseaux qui s’arrêtent, ces mains qui restent levées, ces chèvres mêmes penchées sur l’eau et demeurant sans mouvement, tout cela me semble une invention plus hardie et plus poétique peut-être que l’étonnement du personnage allégorique de la nature. Je vois ici comment la foi invente, ailleurs comment l’imagination et l’esprit cherchent à inventer.

Le moment où le Christ naît fait dans Sannazar un tableau plein de grandeur, souvent reproduit par les peintures italiennes. Joseph prenant entre ses mains l’enfant qui vient de naître, se sent pour ainsi dire inspiré par l’haleine naissante qui sort de la bouche divine

  1. Évangile de saint Jacques-Mineur, chap. 18.