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de merveilleux, point de prodiges, rien qui sente la poésie de convention et qui rappelle l’opéra : un solitaire vêtu de peaux, saint Jean-Baptiste, baptisant dans le Jourdain, au fond d’une vallée solitaire, ceux qui viennent à lui ! Tout cela est plus grand dans sa simplicité que les machines poétiques du paganisme, qui sont toutes empreintes d’un caractère particulier de petitesse et d’humanité. Dans le paganisme, en effet, c’est toujours la forme qui est substituée à l’idée, et cette forme, tout élégante et toute gracieuse qu’elle est, n’atteint pas à la hauteur de l’idée toute simple. La pensée de l’homme, en présence de Dieu sera toujours plus grande et plus belle que tous les personnages allégoriques de la mythologie. À part la bizarrerie des contrastes, n’est-ce pas singulièrement diminuer l’imposante simplicité du baptême du Christ, accompli, selon les prophéties, par les mains du précurseur, que de faire accourir à ce baptême les nymphes du Jourdain, les mains chargées d’encens et de parfums, que de les montrer s’empressant de préparer des bancs de mousse verdoyante et de suspendre aux colonnes de leurs palais de cristal des guirlandes de fleurs tressées de roses, d’hyacinthes et de lis[1] ? Le mystère chrétien disparaît sous ces réminiscences mythologiques.

Sannazar et les poètes de son école ne comprenaient pas le ridicule presque sacrilège de ce mélange d’idées diverses. Préoccupés de leurs études antiques, ils dédaignaient de parler le simple langage de l’Évangile, qui leur paraissait incorrect et grossier, et, quand le Christ marche sur les eaux du lac de Tibériade, ils ne manquent pas de faire venir les Néréides, qui nagent auprès de lui, et Neptune, qui, aplanissant sous ses pas les vagues irritées, s’empresse avec son cortége des dieux de la mer, et baise les pieds divins du Sauveur.

Voilà comment l’étude de l’antiquité égarait les poètes de la renaissance, voilà comment, à force de beau style, ils devenaient ridicules et manquaient aux lois du bon goût en croyant y obéir. Parfois cependant ils savaient faim un heureux usage de la poésie antique. Nous en avons déjà vu un exemple dans l’invocation où Sannazar, attestant les Muses, ces vierges antiques, les prie de l’inspirer au moment où il va chanter la Vierge-mère. J’en trouve un autre exemple, et plus curieux encore, dans le poème de Sannazar.

On sait que la quatrième églogue de Virgile,

Ultima Cumaei vent jam carminis aetas,
  1. Ite citae, date thura pias adolenda per aras,
    Caeruleae comices, viridique sedilia musco
    Instruite, et vitreis suspendite serta columnis ;
    Purpureas miscete rosas, miscete hyacinthos,
    Liliaque, et pulchro regem conspergite nimbo.