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déjà, que ses études, poursuivies d’ailleurs avec une louable persévérance, ne peuvent être acceptées comme une œuvre poétique. Qu’il s’agisse en effet d’une ode, d’un roman ou d’un drame, il ne suffit pas de réunir les élémens de sa pensée et de les offrir au lecteur ou au spectateur comme un échantillon de son savoir ; il faut les combiner, les relier ensemble par une étroite alliance. C’est à cette condition seulement que le poète mérite vraiment le nom qu’il porte ; c’est à cette condition seulement qu’il invente, qu’il crée. Je sais que l’invention semble se mouvoir moins librement dans l’histoire moderne que dans le champ de l’antiquité, je sais que les événemens dont les témoins vivent encore se prêtent plus difficilement que les souvenirs des siècles lointains aux combinaisons poétiques ; toutefois des exemples éclatans, dont l’autorité ne peut être récusée, sont là pour démontrer que les choses et les hommes peuvent être idéalisés par l’imagination fermement résolue à user de tous ses droits. Voyez Shakspeare en effet : il écrit sous le règne d’Élisabeth, et il met en scène Henri VIII aussi librement, aussi poétiquement que Jules César ou Coriolan. Une fois qu’il a pris possession de son sujet, il ne s’inquiète pas de savoir si les témoins de l’action qu’il a choisie vivent encore, s’il est exposé à les coudoyer en sortant du théâtre. Il manie l’histoire d’hier comme l’histoire d’autrefois ; sans se permettre jamais d’en altérer les données fondamentales, il agrandit pourtant ce qui lui paraît trop mesquin, il efface ou relègue sur les derniers plans ce qui n’a pour l’expression de sa pensée qu’une importance secondaire. Or, ce que Shakspeare a fait, toute proportion gardée entre le génie et le talent, pourquoi M. Ponsard ne le ferait-il pas aujourd’hui ? Pourquoi, en traduisant sur la scène les souvenirs de la révolution française, se montre-t-il plus timide qu’en développant quelques pages de Tite-Live ? Que le poète ne s’y trompe pas : le public, loin de voir dans sa réserve une preuve de sagesse, n’y voit qu’un doute, une hésitation contraire à toute poésie. On peut respecter l’histoire sans la transcrire littéralement, et l’auteur de Charlotte Corday paraît l’avoir oublié.

Ainsi, ma pensée sur l’œuvre nouvelle de M. Ponsard se réduit à des termes très simples et très clairs. Je lui adresse trois reproches : absence de composition, impersonnalité, absence d’unité dans le style. Quant au premier reproche, je crois en avoir établi nettement la légitimité. Il est impossible, en effet, de se rappeler la galerie de tableaux que M. Ponsard nous a présentée sans se rappeler en même temps tout ce qu’il y a de capricieux, de fortuit dans la succession des scènes offertes à nos regards. Était-il facile de supprimer le caprice, d’effacer le hasard et de soumettre tous les incidens, tous les ressorts du drame à l’empire d’une volonté unique et constante ? Non, sans doute ; mais le problème d’unité de conception n’est pas plus insoluble pour Charlotte