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Cependant je ne voudrais pas réduire à cette donnée purement psychologique l’intérêt du drame tout entier. Les trois hommes qui se partageaient alors le gouvernement de la montagne, qui disposaient à leur gré du sort de la France, Robespierre, Danton et Marat, doivent tenir une place importante dans un poème baptisé du nom de Charlotte Corday. Pour amener le spectateur à bien comprendre le dévouement de l’héroïne, il est nécessaire de lui montrer la guerre intestine qui déchirait alors la convention. Si Robespierre, Danton et Marat ne viennent pas expliquer devant lui les passions qui les dévorent, les principes dont la mise en œuvre a coûté tant de sang et de larmes, les rêves insensés qu’on ne peut écouter sans épouvante, la résolution de Charlotte n’est plus que le caprice d’une imagination en délire. Ici se présente un nouvel écueil. La guerre qui déchirait la convention était si terrible, semée d’épisodes si étranges, si imprévus, la France haletante contemplait avec une si cruelle anxiété cette assemblée où l’injure et la menace prenaient trop souvent la place des argumens, qu’il semble bien difficile de mettre aux prises la gironde et la montagne sans absorber l’attention tout entière. Oui, sans doute, c’est là un écueil dangereux, mais que le poète peut éviter. Pour peu en effet qu’il possède le sentiment des proportions, il comprend bien vite que la convention, malgré sa terrible grandeur, ne doit servir qu’à expliquer la résolution de Charlotte. La montagne et la gironde se résument en quelques hommes, et sans nous ouvrir les portes de la convention, sans nous montrer les tribunes furieuses dont les clameurs ajoutaient encore à la colère des combattans, il suffit d’amener devant nous les chefs de la montagne et de la gironde. Quand je parle de les amener devant nous, ce n’est pas sans dessein que j’emploie cette expression. Il faut en effet qu’on les voie, qu’on les entende, il faut qu’ils nous révèlent dans un entretien familier ou dans une querelle acharnée le secret de leurs pensées, de leurs espérances. Laisser à d’autres le soin de nous les peindre, de nous initier aux mystères de leur conscience, serait méconnaître le but naturel, les devoirs évidens de la poésie dramatique. Dans un tel sujet, il faut se défier des portraits, car les portraits les plus habiles, tracés de la main la plus sûre, ne sauraient jamais remplacer l’homme même que le poète a voulu peindre. Quelques vers bien frappés, écrits d’un style précis et sévère, ne produiront jamais sur l’ame du spectateur une impression aussi profonde que la vue même du personnage. Cette pensée, bien qu’elle se trouve dans l’épître aux Pisons, est encore aussi vraie aujourd’hui que le jour où elle fut exprimée pour la première fois, et je ne crains pas en la reproduisant le reproche de plagiat.

Comment nous montrer Robespierre, Danton et Marat, Barbaroux, Buzot et Louvet, sans nous ouvrir les portes de la convention ? Pour