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politiques ? C’est l’Angleterre qui répondra à cette question. Le patronage exercé envers les classes ouvrières chez le peuple anglais implique si peu leur renonciation aux droits politiques, que, dans la Grande-Bretagne même, les ouvriers des champs et des villes ne laissent pas que de participer au droit de suffrage. La Grande-Bretagne, avec son système de patronage, n’en est pas moins un foyer d’où le vote à peu près universel rayonne dans le monde entier. Les essaims que la Grande-Bretagne envoie dans toutes les parties habitables de la planète pour y fonder de nouveaux empires ne manquent jamais de se constituer conformément au système représentatif, en admettant tous ou presque tous les citoyens actifs au droit de suffrage. Au Canada, dans l’Australie, partout c’est de même, et c’est de l’Angleterre que les États-Unis ont emporté le germe qui n’a pas eu à se développer infiniment pour devenir le suffrage universel des blancs.

On pourrait contester aux classes ouvrières le droit de suffrage, s’il était démontré qu’en l’absence de libertés politiques leurs intérêts seraient suffisamment défendus, et que leur avancement graduel n’en souffrirait pas ; mais c’est trop souvent le contraire qui arrive. On peut consulter l’expérience des dix-huit années de la monarchie de juillet : ce fut le règne des classes moyennes encore plus que celui du prince qui avait été porté au trône en 1830 et des ministres dont il s’entoura. Ce serait une grande injustice de prétendre que dans cet intervalle de dix-huit ans il n’a rien été fait pour l’amélioration populaire. Cependant, pour être dans le vrai, il faut avouer que presque tout ce qui a été réalisé en ce genre est émané du gouvernement beaucoup plus que de la chambre qui personnifiait les classes moyennes, la seule des deux chambres qui eût de l’autorité. La loi de 1833 sur l’instruction primaire, un des actes les plus insignes qui recommandent à la reconnaissance populaire le gouvernement de juillet, fut votée par la majorité avec un certain empressement ; mais pendant les quinze années florissantes de 1833 à 1848, alors que nos finances étaient dans une prospérité jusque-là sans exemple, on ne put obtenir qu’il fût fait aux instituteurs un sort moins indigne de leurs fonctions. À mesure qu’on s’était éloigné du point de départ, cette loi de 1833 avait excité dans une partie des classes riches ou aisées une animadversion qui, sans l’insistance du gouvernement du 10 décembre, eût laissé dans la loi toute récente sur l’instruction publique des traces bien regrettables pour l’honneur de notre nation.

Sous le gouvernement de juillet, il a existé, parmi les classes moyennes, une sorte de parti qui ne pouvait revendiquer comme sien aucun des hommes politiques les plus éminens, mais qui, suppléant au nombre et au talent par l’activité et par l’intrigue, jouissait d’un grand crédit. Ces deux ou trois coteries, car ce n’était guère plus, profitaient