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Les adversaires de l’admission des masses populaires au droit politique résistent à ces observations. Ils citent la révolution française comme la preuve de la nécessité qu’ils signalent de revenir sur les franchises électorales quand on n’a pu éviter de les accorder aux classes ouvrières. D’après la constitution de 1791, et plus tard sous la constitution de l’an III, le droit de suffrage était reconnu à une multitude de personnes.. Sous l’empire, le droit de suffrage fut illusoire, et puis, pendant la période florissante qui sépare 1815 de 1848, le droit de suffrage a été limité à ce qu’on a appelé une oligarchie de cent mille ou deux cent mille électeurs. Je n’éprouve aucune difficulté à admettre que toutes les fois que les populations abuseront des droits politiques, comme sous la première république, le despotisme sera la conséquence obligée de l’abus. La dictature de Napoléon est le fruit légitime des horreurs de 1793 et des désordres du directoire. Si le grand nombre aujourd’hui abusait du droit de suffrage de manière à renouveler la terreur et l’anarchie, nous aurions à nous prosterner encore devant un sabre : mêmes causes, mêmes effets ; mais la dictature n’est que pour un temps. Quand la nation a recueilli ses esprits, elle se prend à vouloir de nouveau de la liberté. Après le despotisme impérial, nous eûmes le régime constitutionnel. Sans la charte, Louis XVIII était impossible. Après la charte de 1814 vint celle de 1830, qui doubla le nombre des électeurs, et en 1848 le gouvernement lui-même admettait qu’il fallait, comme l’opinion le demandait, agrandir le cercle électoral. Quand même la révolution de février n’aurait pas éclaté, la loi électorale aurait été remaniée ; de proche en proche, il était inévitable qu’elle le fût de fond en comble : on n’eût pas empêché les classes ouvrières de s’y faire jour après un peu de temps. Ainsi, après une période despotique une période représentative où successivement le droit de suffrage est de plus en plus élargi, forcément, tout comme on est forcé de descendre quand on s’est placé sur une pente rapide. Si la nation ne supporte pas le régime représentatif ainsi plus ou moins généralisé, elle retourne au despotisme une fois de plus, pour recommencer le même cercle. Elle consume dans une rotation stérile le plus pur de sa substance ; elle dépérit pendant que les autres, qui ont su s’accommoder de la liberté politique, avancent dans la carrière sans jamais revenir sur leurs pas. Le sceptre de la civilisation est désormais aux nations qui sauront conserver la liberté.

Dans nos nations homogènes, on ne concevrait même pas que les classes ouvrières fussent absolument impropres à jouir, dans une certaine mesure, des franchises politiques, à moins que les classes bourgeoises elles-mêmes n’y fussent à très peu près impropres pour leur compte, car c’est le même sang et le même tempérament. Il y a chez l’ouvrier le plus souvent une moindre culture intellectuelle ; mais dans