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actifs, qui, par la vigueur de leur discipline, composent à peu près un homme de génie, entreprend l’éducation d’un peuple dans l’enfance et le façonne par des moyens héroïques, ne sont plus de mise parmi nous. Ce ne fut jamais bon nulle part que pour un court intervalle de temps, après quoi, si on l’eût maintenu, c’eût été une intolérable tyrannie, dont la formule eût été rien pour le peuple aussi bien que rien par le peuple. Telle est l’inévitable issue de ce système, parce qu’il est dans la nature des choses que les classes qui n’ont en elles-mêmes aucun moyen de se protéger et de se défendre soient sacrifiées. L’exploitation de l’homme par l’homme, comme on dit dans la langue du jour, est certaine après quelque temps, si la dépendance est complète. Pour conquérir une condition passable ou pour la conserver, le faible a dû devenir fort et constater sa force.

Ceci n’est pas l’appel à la force brutale comme à la suprême raison ; quand le serf et l’esclave s’affranchissent, quand les inférieurs en général parviennent à une condition meilleure, c’est, avant tout, que leurs idées et leurs sentimens se sont améliorés, purifiés, élevés. Hors de là pas de progrès possible ; mais sur le chemin du progrès il y a des obstacles matériels et on est sujet à y rencontrer des forces qui barrent le chemin. Il faut de la vigueur pour ouvrir la voie, ou pour déterminer à se tenir à l’écart ceux qui auraient songé à l’obstruer. On l’a dit justement, la civilisation est un composé de lumières et de forces.

L’histoire de la liberté ou de la civilisation (c’est la même chose) peut se résumer ainsi : des classes jusque-là déshéritées trouvent en dehors d’elles une assistance morale ; à la faveur de cette assistance et par un pénible labeur, elles éprouvent un double agrandissement : l’un est de l’ordre moral, l’autre est l’acquisition des attributs visibles de la puissance. Dès qu’elles se sentent grandes et fortes, elles aspirent à prendre en main leurs propres affaires. Ainsi se sont passées les choses à l’égard des communes et du tiers-état, en France, en Angleterre, dans toute l’Europe, depuis les beaux jours de la féodalité jusqu’à nous. Ainsi elles s’accompliront toujours. Supposer qu’il puisse en être autrement, c’est nier que l’homme porte en lui le ressort de la personnalité ; c’est le réduire à un état passif que démentent la religion et la philosophie, et contre lequel les annales tout entières du genre humain sont une longue protestation.

Le système tout pour le peuple, rien par le peuple, a été tenté de nos jours par plusieurs gouvernemens, surtout par M. de Metternich en Autriche et par le roi Frédéric-Guillaume III en Prusse. Dans ces deux états, l’expérience a été soutenue : elle a duré un tiers de siècle en Autriche ; elle a été menée avec conscience et habileté de part et d’autre. L’idée faisait école sous le titre de despotisme éclairé, et l’on pensait à en faire son profit dans d’autres états, lorsque tout à coup