Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pourtant ce n’est là qu’un vain songe. Nul d’entre nous n’aura le bonheur de posséder des vassaux ou d’être un chef de clan comme Mac-Callum More. Nous ne rendrons pas la justice au pied d’un chêne, assistés de notre bailli ; faisons-en notre deuil : tout cela est fini pour la France, irrévocablement fini. Et quand on se met à y regarder d’un peu près, en s’aidant de l’histoire plus que des récits pittoresques des romanciers, on reconnaît que le moyen-âge, avec les relations sociales qu’il comportait, n’était beau qu’en peinture pour le commun des hommes, à peu près comme les magnifiques armures en fer ciselé de ce temps-là que l’on conserve dans nos musées ; c’est agréable à voir sur la scène : pour celui qui s’en affuble, c’est une prison et une torture.

Je ne conteste pas que l’organisation du moyen-âge, ou celle des clans écossais, comme celle plus ancienne du patriarcat, dont nous trouvons le type sous la tente d’Abraham ou de Melchisédech, ne mît enjeu d’admirables sentimens. La protection affectueuse quelquefois, communément vigilante et active, de chefs résolus et courageux inspirait à l’inférieur une juste reconnaissance et un profond dévouement, échange de pensées généreuses et touchantes. C’est un ordre de choses où le pathétique a une grande place, et je ne m’étonne pas que nos romanciers s’y soient attachés. D’où vient cependant l’intérêt des scènes du moyen-âge ? pourquoi ce dramatique et ce pathétique dont quelques personnes d’un cœur excellent se sont éprises au point de penser que, pour le bien du genre humain, des relations sociales de même nature devraient se renouer ? Le secret de ce déploiement de vertus attendrissantes et de nobles sentimens dans les rapports entre l’inférieur et le supérieur, c’est que, sous un autre aspect, la société d’alors offrait d’une manière continue le spectacle d’un horrible brigandage. Le faible, dans ce bon vieux temps, était exposé à toute espèce de méfaits, d’excès et de violences de la part d’hommes audacieux que l’action de la loi ne pouvait atteindre, parce qu’il n’y avait de loi que la volonté du vainqueur. La protection du seigneur était si nécessaire, qu’elle était accueillie avec transport, à quelque condition qu’elle s’exerçât. Le faible ne se plaignait pas de ce que la dépendance fût complète : il n’en était que plus assuré d’être défendu. Les rapports sociaux du moyen-âge entre le chef et l’inférieur, avec les caractères qui en font le charme dans les romans, naissaient donc des crimes et des maux de l’époque. La cause a disparu pour toujours, je l’espère ; l’effet ne peut reparaître. Un philosophe contemporain, M. J. Stuart Mill, qui a écrit quelques excellentes pages sur ce sujet, remarque avec un grand sens qu’aujourd’hui les hommes ont la protection de la loi, qui manquait entièrement aux populations du moyen-âge ; que c’est le patronage qu’ils préfèrent désormais, le seul dont ils veuillent ;