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grand nombre, ce serait s’abuser que de croire à la bienveillance, aux bons procédés, au patronage, aux diverses formes de la charité enfin, sans rien de plus, la puissance de satisfaire les classes qu’on nomme le peuple. On l’a bercé de tant de promesses, que le peuple ne renoncera pas sans de sérieuses compensations aux rêves qu’il caresse et qu’on a soin d’entretenir chez lui. Il veut des garanties politiques, afin d’être certain que ses intérêts seront désormais pris davantage en considération ; il ne cessera pas de les vouloir. Je ne m’occupe pas en ce moment de savoir s’il se fait une idée juste de ce que ces garanties doivent être, et si la constitution de 1848 est viable. Ce sont des questions différentes que pour aujourd’hui je laisse de côté.

J’entends d’ici le lecteur se récrier contre cette opinion, que les bons procédés, le patronage, le ban et l’arrière-ban des manifestations de la charité ne suffiront pas à combler définitivement les vœux des classes ouvrières, et que l’on n’accomplira point avec ce seul secours le grand couvre de la pacification de la société. Rien n’est plus vrai pourtant, et c’est notre vanité bourgeoise qui, nous mettant un bandeau devant les yeux, nous a empêchés de nous en apercevoir. Qu’on veuille bien y réfléchir : la charité, réduite à être seule, est du même ordre que le bon plaisir considéré comme la base unique du gouvernement. Eh ! sans doute, il est d’une grande utilité que la charité se montre intelligente, active, infatigable, de même qu’il est avantageux dans une monarchie que le prince ou ses conseillers soient distingués par leurs lumières et d’un naturel bienveillant. L’un cependant ne suffit pas plus que l’autre. Nous n’avons voulu du bon plaisir à aucun prix ; une charte octroyée n’a pas été assez pour nos exigences. L’ouvrier n’acceptera pas davantage la charité pure et simple, tant publique que privée, sous quelque figure que ce soit, pour garantie de l’amélioration de sa condition.

Je suis peiné de détruire le rêve de certains hommes, qui se flattent que la fougueuse démocratie, semblable à un fleuve débordé, ne pourra faire autrement que de rentrer tôt ou tard dans son lit pour couler doucement entre les rives, et qui, en retour de la soumission qu’ils espèrent, se promettent d’être d’excellens princes, toujours affables et gracieux. C’est un idéal qui sourit vivement aux imaginations romanesques et auquel se prennent même des personnes sensées que les bouleversemens périodiques ont dégoûtées de la liberté. On nous a tant parlé du moyen-âge, de ses châtelains chevaleresques et de ses châtelaines modèles d’amour ou de piété ; on nous a fait sur la toile et en marbre, comme en prose et en vers, des représentations si élégantes des vertus propres à ce temps-là, que cette perspective se présente à nous pour ainsi dire d’elle-même, quand nous nous détachons du présent, qui nous afflige ou nous épouvante, pour songer à l’avenir.