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aux bons procédés, à tout ce qui atteste, chez les personnes plus fortunées, de la sympathie et de la confiance ; mais désormais elles ont très peu de goût pour le patronage, et il y a en elles une fierté, excessive peut-être, qui les indispose contre la charité, du moment que celle-ci devient aumônière. Dès-lors elles en sont blessées. Je ne parle pas seulement de ceux des ouvriers qui, dans les temps agités, jouent le rôle de meneurs ; ceux-là sont souvent des exaltés, des paresseux ou des hommes dissipés, dont l’influence cesse avec les circonstances révolutionnaires qui l’avaient fait naître. J’ai en vue ici la partie des ouvriers qui a l’habitude de réfléchir et de raisonner, qui est la véritable élite des classes ouvrières, et qui dans les temps réguliers conduit le reste. Les personnes qui sont le mieux placées pour connaître la vérité en ont fait l’observation, les ouvriers attendent l’amélioration définitive de leur sort, non de la bienfaisance des classes aisées, non d’un patronage dont je n’aperçois guère les élémens chez nous, sur une grande échelle du moins, mais bien de l’application qui leur serait faite plus complètement des indications de la raison et de la justice. Ils sont peu éclairés, et comment le seraient-ils davantage ? C’est pourquoi, depuis la révolution de février, ils se sont grandement trompés sur ce que c’est que la justice et la raison. En avril, mai et juin 1848, ils croyaient, ou la plupart d’entre eux croyaient, que le système de l’organisation du travail de M. Louis Blanc et toutes les folies débitées au Luxembourg étaient l’expression de la justice et de la raison pures. Le droit au travail leur semblait un principe parfaitement équitable d’économie sociale, et il est vraisemblable que le nombre de ceux qui conservent cette illusion reste fort grand. Cependant, quelles que soient les doctrines qu’ils ont aimées et auxquelles beaucoup d’entre eux malheureusement restent fidèles, tenons pour certain qu’ils ne veulent être traités que comme des hommes libres et justes. Donnons-leur de bonnes notions sur la liberté et l’égalité, sur le juste et l’injuste, et ils y feront bon accueil ; ils le feront avec empressement, pourvu qu’ils nous croient bienveillans, pleins du sentiment de leur dignité. S’ils se sont montrés ardens pour des maximes ou des systèmes où la spoliation est pourtant flagrante, c’est qu’ils ne l’y voyaient pas.

Nous avons donc à traiter avec les ouvriers comme il convient avec des hommes qui sont placés désormais sur le terrain du droit. Le temps est passé où, toute seule, la bienveillance des classes aisées ou riches aurait suffi à conserver l’harmonie dans la société ; il est passé depuis que, sur le cadran de l’histoire de France, la main de la bourgeoisie elle-même a placé l’aiguille sur l’heure des révolutions. Depuis 1789, il n’était plus possible de douter qu’à un moment plus ou moins prochain, les ouvriers des champs et des villes voudraient des droits politiques et prétendraient être une force reconnue dans l’état.