Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que de la civilisation. La charité fournit beaucoup d’occasions de ces bons rapports. La Revue des Deux Mondes donnait, il y a quelques mois, un morceau de M. Nisard sur les classes moyennes en Angleterre, où, à propos de la charité même, cette habitude de rapprochement entre les riches et les pauvres est ingénieusement dépeinte. Les femmes, en pareil cas, ont leur rôle tout indiqué. C’est, par exemple, une femme jeune, élégante, qui tous les samedis se fait institutrice, dans une des salles de sa belle demeure, pour les jeunes ouvrières de la fabrique voisine. « Ces pauvres filles viennent dans cette maison, un moment la leur, dit M. Nisard, entendre une lecture religieuse que la maîtresse accompagne d’interprétations familières[1]. » Beaucoup d’écoles du dimanche sont tenues de même, en Angleterre, par les fils et les filles des manufacturiers ou des nobles. Ainsi les relations d’estime et de sympathie entre les classes les plus fortunées et les ouvriers commencent dès l’enfance. On s’accoutume ainsi à avoir confiance les uns dans les autres ; c’est déjà une grande raison pour qu’on fasse une nation qui soit forte et heureuse, et où aucun intérêt respectable ne soit sacrifié.

Je ne tracerai jamais une ligne d’où l’on puisse inférer que je conteste l’excellence ou l’autorité de la charité. De tout temps ce fut et jusqu’à la fin des siècles ce sera une admirable vertu que celle qui fait ouvrir la main du riche, afin qu’il y ait du pain dans celle du pauvre, du baume sur ses plaies. Les sentimens bienveillans sont nécessaires à l’harmonie de la société, comme l’attraction universelle l’est au maintien du système du monde. Les pratiques charitables nous seront du plus grand secours pour franchir le défilé où nous nous trouvons engagés. Il faut pourtant le dire : il n’y a pas lieu d’attendre de la charité toute seule la fin de nos discordes.

On s’abuserait extrêmement sur les sentimens des classes ouvrières, si l’on supposait qu’elles soient avides de ce qu’elles savent être de la charité. Individuellement ou en masse, elles sont certainement sensibles

  1. « Tout plaisir, toute distraction cesse, ajoute M. Nisard, dès que l’heure du devoir envers le pauvre a sonné. Des prix sont distribués, à certaines époques de l’année, aux plus attentives, sans que celles qui l’ont été moins s’en retournent les mains vides. C’est encore, de la charité aimable, là où les mérites sont inégaux et où les besoins sont les mêmes, de savoir récompenser les mérites sans paraître frustrer les besoins. Les prix sont des objets d’habillement. Plusieurs de ces jeunes filles doivent à l’intelligence et à l’attention qu’elles ont montrées dans ces exercices une toilette décente qui contribue à les relever à leurs propres yeux.
    « Ailleurs on reçoit les petites économies qu’elles font sur le prix de leurs journées ; on les fait valoir, on le leur dit du moins, et aux approches de la mauvaise saison on leur achète des habillemens qu’elles croient avoir payés. On leur cache ce que la charité de leurs banquiers ajoute au capital et aux intérêts ; on risque qu’elles soient moins reconnaissantes pour qu’elles soient plus prévoyantes. » (Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1849.)