Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loi ; aux violences légales, ils répondaient en dénonçant la loi comme illégitime et funeste, en adressant des pétitions au parlement, en s’adressant à l’opinion publique et surtout en réclamant pour tous, sans exception, la tolérance qu’ils demandaient pour eux-mêmes. Ce terrain, ils ne l’ont pas abandonné un seul jour. Au plus fort de la tourmente, en même temps qu’ils sollicitaient de Charles II l’élargissement de leurs amis détenus, ils sollicitaient également celui des prisonniers des autres communions. Dans le même écrit, Guillaume Penn réfutait les doctrines des catholiques et revendiquait pour eux la liberté. Pendant sa première captivité à la Tour (car il fut emprisonné trois fois), il écrivait un traité : England’s present Interest, dans lequel il s’appliquait à montrer qu’une liberté illimitée de conscience était parfaitement compatible avec la paix publique, et que « pour calmer l’aigreur des intérêts opposés, le meilleur spécifique était une législation impartiale assurant à chacun ses droits d’Anglais, et un gouvernement aussi zélé à se maintenir en équilibre entre les divers intérêts religieux qu’à développer la religion pratique. » Défendre ainsi les droits de la conscience au nom des avantages pratiques de la tolérance, c’était un grand symptôme de progrès.

La société entière des Amis commençait à partager cette sagesse. En remerciant Jacques II de sa déclaration d’indulgence, elle exprimait l’espérance « que les effets salutaires qui en résulteraient pour le commerce, la prospérité et la paix du royaume engageraient le parlement à assurer ce bienfait à leur postérité. » De telles paroles ne ressemblaient guère aux déclamations de Samuel Fisher. En réalité, l’église fondée par Fox était entrée dans une nouvelle phase. L’ère des miracles et des prophéties s’était fermée pour elle. En 1666, le fils de l’amiral Penn avait mis au service de la société sa haute intelligence. En 1675, Robert Barclay, l’élégant écrivain, issu d’une famille où la vocation littéraire n’était qu’un héritage, dépossédait l’enthousiasme au profit de la raison en publiant son Apologie. Le quakérisme, tel que nous le connaissons, tel qu’il nous occupera encore prochainement, remonte à deux hommes, Penn et Barclay. Le premier a donné aux Amis leurs tendances, le second leur a donné leur doctrine et leur dogmatisme. Par une curieuse analogie, ce fut un penseur de race celtique, un Écossais du moins, qui réduisit en système les impressions de l’Anglais Fox, comme un autre Celte, Calvin, avait systématisé la protestation de Luther. L’esprit de théorie semble être le privilège ou le malheur de notre race.


J. MILSAND.