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Kiul Bassan, un Polonais qui ne sait pas un mot d’allemand et boit sa carafe d’orgeat du même air dont le géant Schlagadrodo dans lmmermann boit ce fameux thé qui n’est pour lui que de la lavure, quoiqu’il l’ait saturé de rhum. Ce Kiul Bassan est arrivé à la chambre par une singulière bonne fortune. Il était entré ivre dans la réunion électorale ; le sous-préfet (Landrath) qui la présidait lui cria brutalement d’ôter son bonnet. Kiul Bassan se leva comme un furieux contre le magistrat, et les paysans enchantés de dire aussitôt : « Voilà notre homme ! S’il a seulement vis-à-vis du roi la moitié de l’audace qu’il a montrée en face du sous-préfet, il faudra bien qu’on nous entende. »

Tels sont donc les hôtes de M. Hansemann. À côté de ces agrestes citoyens, Mlle Lewald esquisse habilement des physionomies plus sérieuses : M. Hansemann lui-même, l’ennemi de la politique idéaliste, l’homme pratique jusqu’à l’excès, le bonhomme un peu finassier ; M. le comte Schwerin, avec sa large tête plantée presque sans cou sur ses puissantes épaules, avec sa mine ouverte et loyale de seigneur du moyen-âge, un personnage tout pareil à ceux de Holhein et de Lucas Cranach ; les deux frères d’Auerswald, qui représentent la noblesse bureaucratique, comme M. de Schwerin représente la noblesse terrienne et M. Hansemann les classes industrielles ; MM. Milde, Camphausen et tant d’autres. L’excursion de Mlle Lewald à Saint-Paul n’est pas moins féconde en dessins vigoureux. Là lui apparaissent à tour de rôle les principaux membres de l’assemblée : M. de Vincke, M. de Schmerling, M. de Beckerath, le poète Uhland, dont la figure prêterait trop à supposer que ce n’est pas lui qui a pu faire de si amoureuses poésies. N’oublions pas le vieux Jahn, qui revient, comme un fantôme du temps passé, sous l’habit long à la mode antique, son col de chemise étalé sur les épaules, sa tête chauve coiffée d’une casquette d’étudiant, sa barbe blanche inondant sa poitrine.

Ces indications fourniront peut-être une idée suffisante d’un livre qui a réellement plus d’intérêt que sa forme décousue et hâtée ne permettrait au premier abord de lui en attribuer. Nous aurons d’ailleurs bientôt l’occasion de parler plus longuement de Mlle Lewald ; elle a publié dans le courant de l’année dernière un roman qu’il ne serait pas juste de passer sous silence : des critiques anglais l’ont très sévèrement jugé ; nous ne croyons pas que cette sévérité ait été fort équitable. Il y a de vrais mérites dans le Prince Louis-Ferdinand ; il y a surtout celui-là, qu’écrit en 1849, ce roman échappe à toutes les suggestions mauvaises de la saison où il est né. Nous devons ce témoignage à Mlle Fanny Lewald, qu’elle n’est point un bas-bleu humanitaire.

A. T.

M. Sébastien Cornu vient de terminer les peintures murales qu’il avait été chargé d’exécuter dans une des chapelles de l’église de Saint-Merry. Ces peintures se composent de trois grands sujets historiques tirés de la vie de la bienheureuse Marie de l’Incarnation, instauratrice de l’ordre des Carmélites en France, une des dernières venues au calendrier des saints, car elle est de la fin du XVIe siècle, et le décret de sa béatification n’a été rendu qu’en 1791. La bienheureuse Marie se nommait dans le monde Mme Accarie. Elle était fille d’Avrillot, seigneur de Champlâtreux, et femme d’un maître des comptes, un des plus furieux meneurs de la ligue, bonne ligueuse elle-même, car nous voyons que, pendant le siège de Paris, elle avait transformé sa maison en hôpital pour les