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chapitre-là ne proviennent pas de l’excitation artificielle du travail littéraire. Elle ne parle pas là-dessus en femme savante ou en femme politique, mais bien, s’il vous plaît, en femme du monde. Les Allemands mêlent volontiers les femmes à toutes leurs émotions publiques ; les femmes y participent du moins chez eux beaucoup plus que chez nous par des manifestations extérieures ; elles continuent en masse, jusque dans les conditions prosaïques de notre histoire la plus moderne, le rôle de leur patronne Velléda. Elles ont offert des calices et des burettes à l’abbé Ronge (hélas ! encore un fantôme évanoui, mais à quoi bon, puisqu’il en revient toujours d’autres ?) Elles ont organisé des souscriptions pour doter l’Allemagne d’une flotte, avant même qu’elle eût des ports ; elles ont brodé des écharpes et des drapeaux pour la loyale confrérie de la fidélité monarchique ; les filles enfin n’ont pas craint de s’engager authentiquement à promettre leur main aux héros de la guerre du Schleswig. Mlle Fanny Lewald a subi la contagion de ces idées bourgeoises, et ce qu’il en perce dans ses pages se sera dit vingt fois chez telle ou telle conseillère intime le jour où elle donnait le café à ses amies voilà pourquoi je n’en sais pas plus mauvais gré à l’auteur ce n’est pas lui que je sens là, c’est le philistin, et l’on n’est jamais fâché de reconnaître cette marque honnêtement vulgaire, lorsqu’on s’attendait peut-être à quelque raffinement trop quintessencié.

Là où je retrouve l’auteur, et j’en suis sincèrement charmé parce qu’il a les qualités d’une manière tout ensemble ingénieuse et naturelle, c’est à la façon dont Mlle Lewald décrit les personnages et les scènes qu’elle rencontre sur sa, route. La situation politique ne l’absorbe pas au point de lui fermer les yeux sur tout le reste. Elle est encore à Berlin en temps utile pour assister au contrecoup de la révolution du 18 mars, pour voir le pillage de l’arsenal et autres exploits populaires ; elle est à Francfort presque au lendemain des tristes événemens de septembre ; elle retourne à Berlin fort à propos la veille de la dissolution du parlement : mais tant de tracas et de rumeurs ne l’empêchent pas de se distraire, elle et son lecteur, soit avec les curiosités du château de Tegel, l’agréable résidence de la famille de Humboldt, soit avec les merveilles gastronomiques de Hambourg. Le récit de nos journées de juin s’intercale même assez singulièrement dans ces lettres écrites au jour le jour : c’est une sorte de commentaire explicatif d’un tableau de Rodolphe Lehmann. Enfin, au plus vif de ces combats de la tribune et de la rue, un caprice de la voyageuse nous transporte avec elle sur le paisible rocher d’Héligoland, et vraiment il n’y a pas lieu de regretter cette excursion, qui nous vaut une marine bien touchée. Ces pérégrinations peu révolutionnaires nous montrent suffisamment que Mlle Lewald garde toute la liberté de son esprit au milieu de la tourmente européenne, dont elle est un des plus modestes et des plus amusans témoins.

Il y a cependant encore un côté de son livre, et c’est le plus intéressant, qui prouve peut-être davantage en faveur de cette tranquillité d’ame dont je la félicite. Elle trace si nettement les portraits des acteurs du drame qui se joue devant elle qu’on dirait les découpures d’un emporte-pièce ou les contours aigus des silhouettes. On ne dessine pas avec cette précision quand la main tremble, et, sauf les deux points où je l’accuse d’avoir été par trop sentimentale, on peut croire que Mlle Lewald n’a tremblé ni de joie ni de peur en face des tragi-comédies de ces dernières années. Son crayon assurément n’est pas