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avec ses sœurs, et quelques-unes ont compté parmi les exaltés de l’époque. Mlle Lewald, qui est très polie et ne parait pas tenir beaucoup à se procurer des inimitiés littéraires, enregistre avec une courtoisie particulière les visites qu’elle rend aux muses ; mais c’est tout, et sa courtoisie l’échauffe aussi médiocrement qu’il sied à quelqu’un qui, dans l’intervalle de ces solennelles rencontres, a causé une heure ou deux avec Henri Heine.

Survient la révolution du 18 mars à Berlin, et Mlle Lewald s’empresse de regagner ses pénates pour observer encore sur ce nouveau théâtre le grand tremblement de terre qui secoue l’Europe. Là seulement ses observations deviennent moins désintéressées et son humeur moins égale. Mlle Lewald appartient à double titre, par son talent et par son origine, à une catégorie justement célèbre dans la société berlinoise ; elle est une de ces juives spirituelles et lettrées qui, depuis la fin du dernier siècle, ont toujours en dans cette société une place aussi originale que brillante. Les juifs, qui ont fourni tant d’illustrations à la Prusse tandis que la Prusse s’obstinait à leur refuser tous les droits, se sont nécessairement rangés de bonne heure dans le camp libéral : les auteurs du mouvement d’opposition qui date de 1840 furent, en première ligne, deux israélites, M. Jacoby et M. Henri Simon. Cette opposition a été trop souvent justifiée par les caprices et par les chimères d’un absolutisme où il y avait toujours plus d’imagination que d’autorité ; mais elle n’a pas su se défendre elle-même contre la pression brutale de la démagogie, et elle a plus d’une fois pactisé ou capitulé avec l’émeute. Les opinions très nettement libérales de Mlle Lewald se ressentent de cet inconvénient. Je lui pardonne de grand cœur le peu de goût qu’elle manifeste pour la permanence du régime de l’état de siège et pour le retour du gouvernement paternel et chrétien, tel que le professent, à Potsdam, les artistes en moyen-âge. Je ne voudrais pas que cette aversion bien naturelle la jetât dans les thèses rebattues de l’extrême démocratie. Elle n’y tombe jamais à propos de nous ; elle y tombe parfois à propos de son pays ; elle se souvient trop des griefs de sa race et peut-être donne-t-elle plus raison qu’elle ne devrait et même ne voudrait à ces conservateurs bornés qui, dit-elle, accusent les juifs d’avoir causé tout le tapage en Allemagne pour satisfaire des ambitions et des mécontentemens de litterat.

Je reproche donc à Mlle Lewald d’être trop juive en ce sens-là ; je dois aussi lui reprocher d’avoir été d’autre part trop allemande dans quelques-unes de ses appréciations d’ailleurs très générales au sujet des affaires courantes. Je le répète, la politique n’est pas le fond de son livre ; l’auteur n’a pas le tort de monter en chaire, et on lui devine un esprit trop juste pour ne point l’arrêter à temps, si par hasard elle commençait à disserter ex professo sur des matières viriles. La politique arrive comme autre chose dans cette série d’impressions de voyage, plus souvent qu’autre chose, parce que la politique court tous les chemins en cette heureuse année, mais sans plus d’affectation. Ainsi, c’est avec une naïveté fort peu systématique que Mllr Lewald s’abandonne çà et là aux fictions ou aux songes du patriotisme teuton. Elle a cru de tout son cœur au parlement de Saint-Paul, et elle est convaincue de l’honneur qu’il y aurait pour le futur empire germanique à s’arrondir aux dépens des traîtres Danois. Je dois, du reste, avouer en bonne conscience, et pour ne pas la faire plus coupable qu’elle ne m’apparaît, que ses susceptibilités ou ses entraînemens sur ce