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REVUE. — CHRONIQUE.

qu’il ne renonçait point à son entreprise, et qu’il continuerait de poursuivre par tous les moyens l’affranchissement de Cuba. Le lendemain il partait pour Mobile et la Nouvelle-Orléans.

Pendant que Lopez recevait une ovation populaire pour des actes de brigandage et de piraterie, que devenaient ses compagnons ? Un certain nombre d’entre eux étaient restés au pouvoir des habitans de Cardenas. Lopez, quelques heures après s’être rembarqué, avait renvoyé à Cardenas, sur un bateau pêcheur qu’il rencontra, le commandant et deux officiers espagnols, à la condition de s’interposer en faveur des Américains prisonniers. On ne sait quel a été le résultat de cette intervention. La frégate à vapeur le Pizarro a pris et conduit à la Havane un brick et un trois-mâts qui faisaient partie de l’expédition. Le capitaine-général, après avoir fait décimer les équipages, a donné ordre de les enfermer au château de Moro, qui défend le port de la Havane. Enfin il paraît qu’un millier d’hommes a débarqué le 20 mai à San-Antonio. On ignore s’ils se sont avancés dans les terres, s’ils ont été prévenus à temps de la déroute de Lopez, et s’ils ont réussi à se rembarquer.

Voilà les détails connus de cette expédition, si complètement en dehors de nos mœurs et de nos idées. L’enquête judiciaire ordonnée par le président Taylor contre ceux qui ont dirigé et favorisé l’entreprise jettera sans doute de nouvelles lumières sur le complot et en dévoilera toutes les ramifications. Les journaux de New-York citent des négocians dont les uns ont risqué toute leur fortune, dont les autres ont aventuré jusqu’à 800 000 francs dans cette entreprise de piraterie gigantesque ; mais cela ne suffit point à expliquer l’origine des sommes énormes qui ont dû être englouties dans l’expédition. D’où provient cet argent ?

Ce n’est pas là d’ailleurs la question la plus curieuse. Existe-t-il déjà aux États-Unis cette classe d’aventuriers et de soldats mercenaires qui ont été le fléau des républiques de la Grèce, de Carthage et enfin de Rome elle-même ? Quelle est ou la probité ou la faiblesse d’un gouvernement sous les yeux duquel une expédition de boucaniers petit s’organiser paisiblement pendant des années entières, et qui ne peut empêcher qu’il sorte de ses ports des milliers de pirates ? Quelle est la moralité d’une nation où des flibustiers obtiennent les sympathies de la multitude, les encouragemens de la presse, le concours des magistrats, des officiers, des législateurs, et même des membres du gouvernement ? C’est là un curieux sujet d’études pour qui voudrait rechercher l’influence de la démocratie sur les mœurs politiques d’un pays.


L’intérêt de la France dans la question du Schleswig-Holstein[1]. — Parmi les singularités de ce temps-ci, l’histoire enregistrera certainement le démêlé que les révolutions d’Allemagne ont fait naître entre la Prusse et le Danemark. Un gouvernement étranger, une royauté intéressée au maintien de l’ordre en Europe, se faisant ouvertement, les armes à la main, l’auxiliaire et, peu s’en faut, l’humble servante de sujets en révolte contre leur légitime souverain,

  1. Brochure in-8o ; Paris, chez Fimin Didot.