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s’est mis résolûment entre la société et l’anarchie, opposant son nom et s’a personne aux efforts de l’anarchie, et cela sans hésiter, sans jamais quitter la brèche, s’y montrant toujours hardi et décisif ? N’est-il pas vrai que dans les tristes circonstances où se trouvait la société le prince Louis-Napoléon a été pour nous tous un en-cas merveilleux ? et, comme entre partisans de la même cause, on dit volontiers toute sa pensée, n’était-ce pas le seul homme qui pût être président, étant prince ? — Ah ! diront les républicains qui nous écoutent, il vous fallait donc un président qui fût prince, et vous l’avez nommé parce qu’il était prince et non pas quoiqu’il fût prince ? — Aux républicains nous répondons que nous ne causons pas avec eux ; aux conservateurs nous continuons de dire : Oui, dans l’intérêt du pouvoir et par conséquent dans l’intérêt de la société, il était bon que le président ne fût pas le premier venu et qu’il eût un nom monarchique. Oui, le pouvoir tombait pour ne plus se relever, si c’eût été le premier venu d’entre nous, un bon bourgeois ou un bon gentilhomme, qui eût été nommé. Heureusement le bon sens public a compris cela instinctivement, et il s’est détourné des premiers venus pour aller chercher un prince. Ce prince a noblement accepté la vocation que lui faisaient son nom et sa naissance. Il avait été ambitieux avant le temps, mais il n’a pas, grace à Dieu, été découragé quand il était temps. Il croyait être prince et avoir, à ce titre, des devoirs et une destinée particulière. Nous aimons cette foi en sa naissance. Ces devoirs qu’il se croyait imposés par son nom, il les a remplis à notre profit et pour notre salut. Personne ne le nie. Et maintenant qu’on nous permette de faire une supposition.

S’il arrivait qu’un jour, je ne sais pas comment, le roi Louis-Philippe ou le comte de Paris ou le duc de Bordeaux se trouvassent par hasard ou par miracle aux Tuileries, rois couronnés, rois accueillis, rois sûrs d’eux-mêmes et de leur peuple, y aurait-il quelqu’un dans le parti orléaniste ou dans le parti légitimiste pour nier que la société devrait faire au prince Louis-Napoléon une grande et magnifique situation, lui décerner un de ces témoignages solennels de la reconnaissance nationale qui n’honorent pas moins les peuples qui savent les donner que les hommes qui sont dignes de les recevoir ? Non ! Si la monarchie était rétablie et si la monarchie permettait que la société fût ingrate envers le prince Louis-Napoléon et oubliât les services éminens qu’il a rendus à l’ordre public par sa présence et par sa contenance au poste du danger et de l’honneur, la monarchie mériterait de toucher de nouveau. Elle ne serait plus ce qu’elle prétend être, le gouvernement le plus favorable à l’ordre moral. Eh bien ! ce que le parti conservateur n’hésiterait pas à faire pour le prince Louis-Napoléon après la monarchie rétablie, et cela par honneur, par un juste sentiment de reconnaissance, pourquoi ne le ferait-il pas maintenant par un juste sentiment aussi de reconnaissance ? Les services présens et ceux dont on a encore besoin sont-ils donc moins importans que les services passés ? Ne rien faire pour qui nous a fait beaucoup de bien, c’est de l’ingratitude. Ne rien faire pour qui nous fait encore beaucoup de bien, c’est manque de reconnaissance aussi, et, de plus, manque de sagesse.

Mais voter une liste civile au président, c’est le faire presque roi, et cela nous déplaît, à nous autres légitimistes, à nous autres orléanistes. — Ah ! si cette objection nous était faite par des républicains de la veille, nous ne saurions